Thèse en cours

Langage et cognition spatiale en français, en anglais, et en allemand : perspectives typologique et expérimentale dans la représentation du mouvement dynamique

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Auteur / Autrice : Adélie Buclier
Direction : Efstathia Soroli
Type : Projet de thèse
Discipline(s) : Sciences du langage : linguistique et phonétique générales
Date : Inscription en doctorat le 01/10/2022
Etablissement(s) : Université de Lille (2022-....)
Ecole(s) doctorale(s) : École doctorale Sciences de l'homme et de la société
Partenaire(s) de recherche : Laboratoire : Savoirs, Textes, langages

Résumé

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CONTEXTE THÉORIQUE Dans le domaine de l'espace, et plus particulièrement dans le domaine de l'encodage du déplacement et de ses composantes, les locuteurs de différentes langues utilisent des stratégies de lexicalisation très différentes. Par exemple, dans les langues à "cadrage verbal" comme le français, les locuteurs lexicalisent l'information sur la Trajectoire du Mouvement dans le verbe et omettent l'expression de la Manière ou l'expriment dans des éléments extra-verbaux (gérondifs, propositions coordonnées/juxtaposées, etc.), par exemple "Une femme est entrée dans un immeuble (en marchant)". Dans d'autres langues, dites "à cadrage satellitaire", notamment les langues germaniques telles que l'anglais et l'allemand, les locuteurs optent pour un modèle différent : ils lexicalisent la Manière dans le verbe et expriment la Trajectoire dans des éléments extra-verbaux, dits satellites (particules, préfixes, etc.) en exprimant systématiquement les deux composants dans des structures syntaxiquement compactes et sémantiquement denses, par exemple : A woman walks in a building / Ein Frau läuft in ein Gebäude hinein, 'Une femme est entrée dans un immeuble' (Talmy 1985, 1991, 2000). D'autres études ont mis en lumière les variations inter et intra-langues ainsi que les différences intra-types dans l'encodage de ces composantes. Par exemple, le but d'un déplacement (la phase finale d'une trajectoire) est, dans la plupart des langues, représenté de manière plus diversifiée et plus fréquente que la source d'un événement (la phase initiale de la trajectoire), mais de manière étonnamment différente d'une langue à l'autre (Ikegami 1987, Bourdin 1997, Stefanowitsch et Rohde 2004, Kopecka et Vuillermet 2021) : en français, par exemple, le But est exprimé par un large lexique exprimant la direction (par ex : se diriger, avancer, s'approcher, etc.) ; et en allemand principalement via les caractéristiques du Ground et des points d'arrivée (par exemple, Ein Auto fährt eine Straße entlang, 'Une voiture roule le long d'une route' ; Eine Frau läuft zur Bushaltestelle, 'Une femme marche jusqu'à l'arrêt de bus') (Flecken et al., 2015:106). D'autres études ont montré que les langues à cadrage satellitaire révélaient une plus grande granularité sémantique dans l'expression de la Manière, par opposition aux langues à cadrage verbal - par exemple, courir 'to run' vs. to run, to rush, to race, to sprint (Slobin et al. 2014). En outre, l'expression du mouvement rapide est plus souvent combinée avec des expressions codant le but (Taremaa et Kopecka 2022). D'un point de vue cognitif, certaines études suggèrent que ces différences linguistiques ne sont que des différences de surface qui n'ont pas d'impact sur la perception ou sur la façon dont les gens traitent les événements sur le plan cognitif (Chomsky 1995, Papafragou et al. 2008). Inversement, d'autres études suggèrent que de telles différences peuvent contraindre non seulement les choix verbaux des locuteurs au niveau computationnel, mais aussi le traitement non verbal au niveau algorithmique (Boroditsky 2012, Soroli, Hickmann & Hendriks 2019). OBJECTIF Cette thèse se concentre sur les variations inter- et intra-types de trois langues : le français (langue romane à cadrage verbal), l'anglais et l'allemand (langues germaniques à cadrage satellitaire). L'objectif est d'examiner le lien entre la typologie et les asymétries spatiales (Source/But et mouvement Lent/Rapide), et d'explorer dans quelle mesure cette diversité inter- et intra-langues peut avoir un impact sur le comportement verbal et non-verbal des locuteurs de ces langues (en particulier en termes de traitement visuel et de prise de décision). MÉTHODE 75 participants, à savoir 25 locuteurs natifs de chaque langue, seront testés dans le cadre d'un protocole expérimental impliquant la langue à différents niveaux : (1) une tâche de catégorisation non verbale, où les participants regarderont un clip vidéo cible d'une scène de déplacement impliquant des relations asymétriques variées de Source/But et de Mouvement Lent/Rapide, et devront choisir le plus rapidement possible entre deux variantes celle qui ressemble le plus à la cible, tout en répétant une série de syllabes (tâche interférente) ; (2) une tâche de mémorisation, où les participants devront indiquer quelle version du clip ils ont regardée parmi deux variantes ; (3) une tâche de catégorisation intermédiaire, similaire à la tâche de catégorisation non verbale mais sans l'interférence ; (4) une tâche de catégorisation verbale, où les participants associeront une variante à une phrase cible ; et (5) une tâche de production où les participants seront invités à décrire ce qui s'est passé dans les vidéos. PRÉDICTIONS Selon une première hypothèse universaliste forte, le langage et la cognition sont deux systèmes autonomes. La langue maternelle des participants ne devrait donc pas influencer le traitement des scènes spatiales au cours du protocole. Selon une hypothèse relativiste forte, le langage et la cognition interagissent constamment, les propriétés spécifiques des langues individuelles devraient donc laisser des traces dans toutes les tâches et mesures (verbales et non verbales). Selon une hypothèse relativiste modérée, les effets potentiels de la langue ne devraient se produire que dans les tâches impliquant ou nécessitant le traitement d'informations linguistiques explicites. DISCUSSION Cette étude porte sur la variation interlinguistique et la relation entre le langage et la cognition en examinant l'impact des caractéristiques typologiques sur (i) le type d'informations spatiales auxquelles les locuteurs prêtent attention et (ii) les (a)symétries dans l'expression du mouvement (Source vs. But du mouvement) et de la Manière (mouvement lent vs. mouvement rapide) dans les tâches verbales et non verbales. Les résultats seront discutés à la lumière de la typologie linguistique et de la linguistique cognitive dans le but de contribuer au débat sur la cognition spatiale et son caractère universel et/ou spécifique à travers les langues.