Entre globalisation et particularisation, penser les identités plurielles.

par Bérénice Mottelay

Projet de thèse en Philosophie

Sous la direction de Alain Renaut.

Thèses en préparation à Sorbonne université , dans le cadre de École doctorale Concepts et langages (Paris) depuis le 21-11-2013 .


  • Résumé

    Si la philosophie politique cherche à élucider la question d’une vie entre « soi et l’autre », entre différences particulières et universalisme, entre connaissance de soi et reconnaissance par l’autre, elle est aujourd’hui au pied d’un mur bâti par le paradoxe qui a vu grandir l’affirmation de la pluralité des identités en même temps que s’uniformisaient les droits et les statuts sociaux. C’est de ce paradoxe que naissent ce travail de recherche et la volonté de proposer une vision critique de la notion d’identité dans le cadre des identités soumises aux discriminations, positives ou négatives, qui figent les liens entre les particularismes dans des rapports de force et non d’équité, si l’on reprend le vocable de Rawls . L’objectif de cette recherche sera de comprendre la validité de la notion d’identité dans un contexte globalisant, de déterminer les points d’ancrage des existences identitaires dans les rapports des individus entre eux puis des nations entre elles, mais aussi de penser la nécessité d’émergence d’une nouvelle éthique pour déterminer une politique adéquate aux besoins de reconnaissance des particularismes. A partir de ces questions éthiques et politiques, nous nous tournerons vers les instances mondiales pour déterminer en quoi elles représentent un horizon pour répondre aux limites nationales et tenter une approche prospectiviste sur la validité d’un droit atomique mondial, un droit premier qui réunirait toutes les identités, qu’elles soient apatrides, immigrées, mixtes ou encore itinérantes, afin de leur apporter et de leur assurer un socle de justice sociale. L’emploi du terme « identité » nécessite la plus grande attention en ce XXIème siècle, héritier des mouvements sociaux et des migrations entre les nations. Il s’agira de saisir les enjeux et l’impact de ce terme dans la sphère politique si l’on considère la problématique qu’a suscitée la création du ministère de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité nationale et du Développement solidaire, en 2007, sous le gouvernement Fillon. Ce ministère, qui n’aura duré que de mai 2007 à novembre 2010, représentait, avec sa terminologie-même, la difficulté à appréhender la question identitaire et à rendre compréhensible le problème de la coexistence des identités. L’identité, d’un point de vue sémantique, désigne ce que Ricoeur nomme mêmeté (qualité de ce qui se ressemble) et ipséité (caractère de ce qui est permanent, conscience de la persistance du moi) , c’est-à-dire la reconnaissance de soi qui implique la reconnaissance de l’autre. C’est cet espace différentiel de conscience qui constitue un asile, un lieu inviolable, encore abstrait, de la conscience d’être. La conscience de soi fait naître un territoire moral, chaque individu se conçoit dans ce territoire « invisible » lui-même inscrit dans un territoire visible. C’est là que se joue la problématique des identités plurielles, celle de conquérir un environnement matériel en vue d’un réceptacle visible pour leur existence « invisible ». C’est de ces deux bords de l’identité, interne et externe, que notre analyse proposera un point d’ancrage pour admettre, à travers la pensée de Hannah Arendt, un espace différentiel pourtant non pluriel, c’est-à-dire un lieu pour se penser soi comme être différencié tout en restant un: « Il y a là une chose curieuse ; je n’ai besoin d’aucune pluralité pour établir la différence ; la différence est intrinsèquement au moment où je dis : je suis moi. […] Je suis inévitablement deux-en-un. » . Cet état de conscience (consciousness) est l’espace du déploiement identitaire, ou plutôt, si nous allons vers une remise en question de la notion d’identité, d’un déploiement référentiel pour accéder au monde. Ce dialogue interne et silencieux, έμε έμαυτο ainsi nommé par Platon, sera l’un des points d’étude de l’identité. En outre, afin d’élargir le domaine de l’espace interne vers un espace externe de l’identité, un espace politisé, les travaux de Jürgen Ha


  • Résumé

    Bermas et de Jean-Marc Ferry présentent un intérêt pratique : ils proposent une structuration des fondements de l’individu et de son rapport à lui-même et à l’autre par un espace différencié discursif. Nous pourrons alors questionner cette structuration et soulever un ensemble de problèmes théoriques et pratiques que pose la construction en quatre temps que Ferry défend : narration, interprétation, argumentation et reconstruction . C’est à partir de ces strates de construction discursive, jusqu’à la reconstruction (ou « reconnaissance mutuelle » chez Ricoeur) élevée au rang plus large d’une identité postnationale, que notre approche décèlera une aporie d’ordre éthique et politique. La volonté de fonder une identité postnationale pour créer un universalisme de droit à l’échelle européenne ne peut répondre à la nécessité globale de doter d’un droit mondial toutes les identités, absolument toutes. Trop proche des frontières nationales, trop ancrée dans une histoire coloniale, l’Europe n’est pas un terrain neutre. Nous pourrons avancer l’idée critique que l’Europe ne peut être le réceptacle d’une vision universelle et objectiviste pour un droit commun ni même résoudre le problème des migrations identitaires à l’intérieur des nations. 1) La place des identités plurielles : Nous accorderons un souci particulier à la définition d’une telle « identité reconstructive » que Ferry distingue de l’identité postnationale que le traité de Maastricht en 1992 a suscitée: « On appelait, en quelque sorte, à l’identité postnationale, pour justifier le « oui » à l’Europe » . Mais il s’agira alors de se demander si les identités reconstructives, tout de même européennes, n’annoncent pas leurs limites par le fait-même de correspondre à un territoire et une histoire donnés excluant a priori d’autres identités qui se situeraient au-delà de l’Europe. L’enjeu que mentionne Ferry étant de répondre aux problèmes que les nations ont, entre autres, face à l’immigration, nous verrons qu’une proposition postnationale européenne n’inclut pas non plus la place des identités diverses puisqu’elle déplace la résolution du problème vers un champ tout autre, par exemple celui de l’économie avec le projet d’Allocation Universelle . Finalement, les sujets immigrés, représentant le point de départ de la vision critique de la nation que Ferry propose, ne sont plus les sujets abordés dans sa vision reconstructive de l’Europe. Outre les enjeux intellectuels d’une approche théorique de l’identité, nous étudierons la portée de cette notion sur des enjeux plus pragmatique en matière de politique et de justice. Car ce que Tocqueville exprimait déjà en son temps à travers la « ressemblance humaine » semble aujourd’hui insuffisant pour étayer un précepte éthique dans une vie pratique ; en effet, quelle ressemblance invoquer au-delà de celle de la légitimité d’être humain? Se pose alors le problème de l’intérêt de subsumer à une pensée et une pratique normative universelle les particularismes des identités, c’est-à-dire la pluralité des espaces moraux et identitaires. En effet, nous verrons plus loin le paradoxe d’une ouverture des espaces d’échanges internationaux en même temps que se cristallisent les pensées d’appartenance identitaire, ce qui nécessite un réceptacle normatif dans une justice sociale de reconnaissance mais aussi de redistribution comme l’étaye Nancy Fraser . Corrélativement à notre problématique, il s’agit de prendre comme point de départ réflexif la considération d’un certain paradoxe entre l’existence morale des particularismes et leur imprégnation dans le réel en droit normatif. Il n’est pas dit que le cas concret qui suit puisse s’ériger en valeur universelle mais il définit une corrélation entre la place d’une identité historiquement externe à un sol donné et son existence en droit. 2) Point d’ancrage : l’exemple de la « Jungle » de Calais : Il y a quatre ans, le 22 septembre 2009, s’opérait le démantèlement des campements de migrants sans-papiers dans la « Jungle » de Calais. 278 migrants dont 132 supposés mineurs, ont alors été interpelés