Crise des grands systèmes techniques et de la participation privée dans la gestion des services urbains. Une études des controverses sociotechniques suscitées par les politiques hydriques au Mexique.

par Jonathan Marchand

Projet de thèse en Sociologie

Sous la direction de Sylvy Jaglin et de Franck Poupeau.

Thèses en préparation à Paris Est , dans le cadre de VTT - Ville, Transports et Territoires , en partenariat avec LATTS - Laboratoire Techniques, Territoires, Sociétés (laboratoire) et de RIT - Réseaux, institutions et territoires (VTT) (equipe de recherche) depuis le 15-11-2012 .


  • Résumé

    Plus de trois décennies après le début des réformes instituant la libéralisation, la décentralisation et la transition vers une gestion durable, les controverses au sujet des politiques publiques de l'eau ont cessé d'être au Mexique le monopole des corps d'ingénieurs de la bureaucratie fédérale et des hommes politiques de haut rang. Le nombre d'acteurs impliqués dans les controverses s'est démultiplié et leurs profils se sont diversifiés. Ce phénomène coexiste cependant avec une étonnante continuité dans la formulation des politiques publiques de l'eau, fondées sur l'idéal du grand réseau technique intégré et reposant sur une gestion bureaucratique et des investissements massifs dans la construction de grandes infrastructures hydrauliques (Graham et Marvin 2001). Des agents aux caractéristiques très hétérogènes participent désormais aux controverses au sujet des politiques publiques de l'eau: des organisations internationales, des ONG, des fonctionnaires municipaux, des universitaires, des consultants, des associations, des mouvements sociaux ou des entreprises. Une « communauté de l'eau »  (Meublat 2001) mexicaine est en voie de consolidation. Elle se compose d'un entrelacs complexe d'individus et d'institutions aux caractéristiques diverses, aux intérêts divergents et aux prises de positions antagonistes. Ils sont cependant réunis par les luttes auxquelles ils participent autour de la gestion de l'eau et dans lesquelles ils investissent des ressources de natures différentes : du temps, des financements, des infrastructures ou des savoirs-faire. Alors même qu'ils défendent des prises de positions antagonistes, des militants, des fonctionnaires locaux et certains entrepreneurs exerçant dans le domaine de l'eau remettent en cause les modes de domination des ingénieurs de la bureaucratie fédérale. Cette étude a pour ambition d'analyser, d'une part, les reconfigurations des rapports de force induit par l'élargissement de la communauté mexicaine de l'eau au-delà des corps d'ingénieurs et des administrateurs de l'État ; et de l'autre, le potentiel de transformation de cet élargissement sur les politiques publiques de l'eau. L'étude de cas exposé dans ce papier est centrée sur les relations qu'entretient un groupe de militants pour le droit à l'eau dont les membres sont devenus des intermédiaires entre une multitude de conflits se déroulant à différents niveaux. Les membres de ce groupe militant participent activement à plusieurs conflits locaux situés en périphérie urbaine au sud de Mexico. Ils participent également à la contestation d'ordre régional des politiques de gestion de l'eau dans la vallée de Mexico. Enfin ils sont au centre de la controverse nationale au sujet des réformes de la Loi Générale des Eaux. L'hypothèse centrale de ce papier est que seules les revendications correspondant aux exigences des agents qui dominent les rapports de force et portées par les militants dotés des ressources adéquates ont des chances de contribuer à la production de politiques publiques à chacun des niveaux. Les revendications proches du discours officiel des institutions dominantes sont par ailleurs celles qui ont le plus de chance de peser. Loin de remettre en cause l'ordre établi, l'entrée de nouveaux agents dans les controverses au sujet des politiques de gestion de l'eau, autrefois réservées aux grands corps d'ingénieurs, a pour effet de rapprocher des institutions bureaucratiques une « élite » (à définir dans ses caractéristiques sociales) concurrençant les ingénieurs dans la définition des politiques de l'eau. Les élites contestataires sont cooptées ou intégrées à la marge dans les dispositifs officiels, notamment par le biais des institutions décentralisées et participatives qui constituent une voie d'accès aux institutions centrales. Les conflits suscités par la gestion des systèmes sociotechniques urbains destinés à l'approvisionnement en eau potable et à l'assainissement sont le point d'entrée choisi pour étudier les mécanismes de domination à l'œuvre, les positions de pouvoir et les inégalités d'accès à différents types de ressources. L'entrée par les conflits permet d'identifier de manière explicite les enjeux, les alliances et les controverses qui agitent la communauté de l'eau. Il ne s'agit donc pas d'une étude des mouvements sociaux autour de l'eau mais bien des transformations des politiques de gestion des systèmes socio-techniques de l'eau à partir des agents impliqués dans les conflits qu'elles suscitent. L'analyse des ressources et des propriétés des agents permet d'esquisser une première ébauche du système des agents pertinents, c'est-à-dire de la distribution des forces autour des conflits. L'étude des trajectoires sociales des agents pertinents est la principale méthode utilisée pour identifier les ressources qu'ils engagent dans les luttes pour la définition des politiques publiques de l'eau.

  • Titre traduit

    Crisis of large technical systems and private participation in the management of urban services. A study of the sociotechnical controversies arising from water policies in Mexico.


  • Résumé

    More than three decades after implementation began of neo-liberal reforms including decentralization and the transition to sustainable management, controversies about public water policies in Mexico are no longer the monopoly of government engineers and senior politicians. The number of players has grown and their backgrounds have diversified. This phenomenon, however, coexists with a surprising continuity in the formulation of water policy which continues to be mainly based on the ideal of the large integrated technical networks under bureaucratic control, and on massive investment in the construction of large scale hydraulic infrastructure (Graham and Marvin 2001). Heterogeneous actors are now involved in water controversies: international organizations, non-governmental organizations (NGOs), municipal officials, scholars, consultants, associations, social movements and private companies. For example in Mexico a complex "water community" (Meublat 2001) intertwines different individuals and institutions with contrasting interests and often conflicting positions. However, they are united by their participation to battles about water policies definition and implementation. They invest different kinds of resources such as time, funding, infrastructure or expertise in this power dynamic. Even if they disagree, activists, local officials and some contractors question the policy domination of the engineers working for the federal bureaucracy. This study aims to analyze, on the one hand, the reconfiguration of power relations created by the expansion of the Mexican water community beyond the public corps of engineers and state administrators and on the other, the transformative potential of this process on water public policies. The case study discussed in this paper focuses on the relations between the public corps of engineers and a group of water rights activists in several local conflicts in urban periphery south of Mexico City. These activists also challenge regional water management policies in the Valley of Mexico, as well as positioning themselves at the center of the national debate on General Water Law reforms. The central hypothesis of this paper is that only claims that correspond to the requirements of agents in power and carried out by militants with adequate resources are likely to contribute to the production of public policy at any level. Claims aligned with the official discourse of the dominant institutions are also those most likely to have an impact. Thus, the opening of controversies about water management policies to new agents is not challenging the established order, but rather makes possible the emergence of an "elite " who compete with engineers for access to government policymakers. These protester elites are often co-opted or integrated through decentralized and participatory institutions that are a gateway to central institutions. Conflicts over the management of urban socio-technical systems for drinking water supply and sanitation are the entry point I have chosen to study the mechanisms of domination at work, relations of power and inequalities in access to various types of resources. Conflicts are privileged observation contexts, as they make it easier to identify the issues, alliances and controversies inside the water community. This is therefore not a study of water social movements but of the transformation of water management public policies through the agents involved in the conflicts these policies generate. The analysis of resources and characteristics of the agents allows me to analyze the distribution of forces around the conflicts. The study of the social trajectories of protest agents is the main method I use to identify the resources they engage in order to carry out struggles to impact water public policies.