Thèse en cours

L'écriture du deuil dans les journaux intimes de Roland Barthes et d'Hervé Guibert.

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Auteur / Autrice : Chrystèle Caillon
Direction : Michel Bertrand
Type : Projet de thèse
Discipline(s) : Langue et litteratures francaises
Date : Inscription en doctorat le 04/10/2020
Etablissement(s) : Aix-Marseille
Ecole(s) doctorale(s) : Ecole doctorale Langues, Lettres et Arts (Aix-en-Provence ; 2000-....)
Partenaire(s) de recherche : Laboratoire : CIELAM - Centre Interdisciplinaire d'Etudes des Littératures d'Aix-Marseille

Mots clés

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Résumé

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« 16 février 1915, Je ne m'y retrouve pas. Comme si toutes les choses que j'ai possédées m'avaient échappé et qu'elles pussent à peine me suffire si elles me revenaient.1 » De nos jours, le journal intime est discrédité. Né à la fin du XVIII ème, celui-ci connait un essor considérable dans les années 1960-1970 avec l'émergence du structuralisme. Ce mouvement théorique et critique invoque un fonctionnement autonome du texte. Souvent publié à titre posthume, le journal intime est expérientiel. En effet, il vise à transmettre les expériences d'une vie, c'est-à-dire à mettre en relief les connaissances et les épreuves que l'on traverse au cours de l'existence. Dans Cher Cahier, Philippe Lejeune (1989) aborde la rédaction du journal intime comme un phénomène de société. « La mort de l'auteur » (Roland Barthes) permettrait la clôture du texte et constituerait l'ouvrage comme livre. Le journal s'inscrit dans la littérature comme une oeuvre de divertissement qui permettrait aux lecteurs d'accéder à l'intimité de l'auteur mais aussi de comprendre la genèse de ses oeuvres. Cette genèse est un dévoiement par rapport à sa vocation originelle de circuit interne n'impliquant qu'une seule personne, c'est à dire tour à tour auteur et lecteur. Cette forme, souvent utilisé pour l'étude autobiographique des oeuvres d'un auteur, perd toute portée littéraire et devient un objet relativement critique. A cause de cet oubli de littérarité dans la forme, le journal se voit contraint d'être abordé non dans un souci de littérature mais comme un outil permettant la théorisation de la littérature. Le lecteur met de côté la forme personnelle et émotionnelle et se joue d'une pensée théorisante, éclairante sur les oeuvres écrites en dehors de l'intimité. Bien que Journal de deuil (œuvre posthume de Roland Barthes, publié en 2009) et Le mausolée des amants (oeuvre posthume d'Hervé Guibert, publié en 2001) s'inscrivent dans ce genre discrédité, ces deux journaux, par leur franchise, leur dévoiement et leur esprit critique, se jouent et se déjouent de ces parties pris de lecture. Selon Sigmund Freud, le deuil est « la réaction à la perte d'un être aimé, ou bien une abstraction qui lui est substituée, comme la patrie, la liberté, un idéal, etc.2 ». Pour nos deux auteurs, le deuil est bien la réaction à la perte d'un être aimé mais il signifie également la réaction face à sa propre perte, à l'appréhension de sa propre mort. Souvent relatif à la mort, le deuil se révèle être un acte égoïste puisque le terme englobe, dans son usage générique « faire son deuil », toute perte d'objet ou de projet. Du latin dolus*, mot déverbal de dolere*, le terme signifie « souffrir ». L'écriture du deuil est une écriture de la souffrance et du chagrin. Cette souffrance nous est propre puisqu'elle relève d'une « acédie » de l'esprit. Le terme acédie* vient du grec et symbolise le manque de soin apporté aux morts, c'est-à-dire l'absence d'enterrement. De ce fait, Roland Barthes et Hervé Guibert créent par eux-même un tombeau. Le journal devient le monument nécessaire à la réussite du travail de deuil. À travers l'écriture du deuil, les auteurs offrent une structure à l'événement et réussissent à emprisonner la boucle perpétuelle nécessaire à la réalisation de l'événement. Roland Barthes commence la rédaction de son Journal de deuil à la suite de la mort de sa mère le 26 octobre 1977. Confronté à la perte réelle, l'auteur tente de théoriser, sous une forme fragmentaire, l'épreuve particulière du deuil. Son travail, théorique et critique, s'entremêle d'émotions. Chaque note est datée comme si le narrateur désirait s'approprier un temps qui ne peut se contenir dans l'écriture. La forme journalière lui permet d'aborder chaque jour l'épreuve à laquelle il est confronté. Son journal est cyclique et prend en considération « la mesure du deuil3 ». Le journal se heurte aux divers discours d'autrui et aux expressions lexicalisées. L'auteur se trouve confronté à son impuissance à faire sens, à théoriser et à exprimer le deuil. Son écriture se veut créatrice d'un monument à la mémoire de « Mam ». Le journal s'enracine dans le temps en rendant au deuil son éternel mouvement. A travers l'écriture du deuil, Roland Barthes effectue un truchement puisqu'en multipliant les expériences de deuil il prouve à la fois le renouvellement perpétuel du travail de deuil mais aussi l'aporie du langage face à l'événement. Hervé Guibert, dans la lignée du père de la critique Roland Barthes, reprend ce sujet mais cette fois-ci l'aborde en y ajoutant les différentes formes que l'on trouve du deuil. Son journal, Le mausolée des amants, plus long et mis en récit, n'est pas daté mais entre dans la lignée d'une écriture cyclique et atemporelle du deuil. Confronté à la mort de ses amis, à la suite du SIDA, ainsi qu'à l'appréhension de sa propre mort dans la maladie, l'auteur met en lumière la pertinence d'un sujet qui désire démontrer que l'expérience du deuil est en tout état de cause l'expérience de sa propre mort, d'une mort dite programmée. Ecrire le deuil c'est écrire sa propre mort. Cette appréhension de la mort, à travers les différentes pertes qui entourent le narrateur, invoque l'importance de la perte du moi et de sa reconstruction nécessaire au travail de deuil. Ecrire le deuil ce n'est pas réussir à se séparer de l'autre mais plutôt réussir à se réécrire sans l'Autre. Au travers de l'absence de l'Autre, le moi doit réussir à s'identifier sans se comparer à l'être disparu. Le projet commun de ces deux auteurs serait de construire, l'un comme père et l'autre comme fils, une oeuvre littéraire en passant par la déconstruction du fil du récit. Dans ce projet, nous étudierons l'importance de la déconstruction dans l'élaboration d'une structure cyclique de l'expérience du deuil. De cet engendrement par fragmentation, les auteurs font naître une oeuvre littéraire qui se veut nécessaire à l'enfantement d'un moi. Les journaux intimes se révèleraient être des oeuvres engagées, à visée nécessaire et réfléchie dans l'élaboration d'un livre qui se veut construit et déconstruit par l'écriture. En écrivant sur le deuil, Roland Barthes et Hervé Guibert se trouvent confrontés à l'impossibilité d'écrire le deuil sans écrire le moi. Quelle serait la portée d'une oeuvre écrite par l'endeuillé si elle se heurte à des apories du langage et à un renforcement du moi? Est-il possible d'écrire le deuil sans multiplier les écritures de soi ou du non-soi? Le langage est-il capable de transmettre la perte de l'être aimé ainsi que la perte de soi-même sans s'attarder sur la reconstruction d'une identité propre? Ecrire le deuil serait alors « destruction » et « construction » d'une identité en dehors de l'Autre. Ainsi, le travail de deuil devient un travail d'écriture. 1 KAFKA, Franz, Journal, in Oeuvres complètes Tome VI, éd. Grasset, coll. « Cercle du livre précieux », édition critique établie sous la direction de Marthe ROBERT et traduite par Marthe ROBERT, Paris, 1954, p.336. 2 FREUD, Sigmund, Deuil et Mélancolie, éd. Payots & Rivages, coll. « Petite bibliothèque payot », Paris, 2011, p.45. 3 BARTHES, Roland, Journal de deuil, éd. du Seuil, texte établi et annoté par Nathalie Léger, Paris, 2009, p.29.