Thèse en cours

Superpositions causales en information et thermodynamique quantique

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Auteur / Autrice : Raphaël Mothe
Direction : Cyril Branciard
Type : Projet de thèse
Discipline(s) : Physique Théorique
Date : Inscription en doctorat le 01/10/2021
Etablissement(s) : Université Grenoble Alpes
Ecole(s) doctorale(s) : École doctorale physique (Grenoble ; 1991-....)
Partenaire(s) de recherche : Laboratoire : Institut Néel

Résumé

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Contexte scientifique Dans la formulation usuelle de la mécanique quantique, le principe de causalité – affirmant que la cause précède toujours la conséquence – est respecté. L'ordre causal y est bien défini, au sens où l'affirmation « l'événement A cause l'événement B » implique que l'événement A a lieu chronologiquement avant l'événement B, et que donc l'événement B ne peut influencer causalement l'événement A. Il n'y a pas d'ambiguïté sur la temporalité des événements. Des travaux de recherche récemment menés [1, 2, 3] ont montré néanmoins que la théorie quantique était conciliable avec un ordre causal n'étant plus défini. Dans ce nouveau paradigme, il est possible de considérer des processus dans lesquels les événements A et B ont une certaine relation de cause à effet, sans pour autant pouvoir affirmer que l'un se déroule avant l'autre, ou que l'un soit la cause de l'autre. On parle alors d'ordre causal indéfini. Une implémentation physique, réalisable en laboratoire [4, 5, 6], n'ayant pas d'ordre causal bien défini a été proposée et nommée « quantum switch » [2]. Il se compose d'un qubit qui contrôle l'ordre dans lequel deux opérations A et B vont être réalisées. En plaçant ce qubit dans une superposition quantique, il est possible de superposer deux ordres causaux a priori incompatibles, à savoir la éalisation de A avant celle de B, et la réalisation de B avant celle de A. L'utilisation des ordres causaux indéfinis est prometteuse dans de nombreux champs de la physique liés à la mécanique quantique. En théorie de l'information quantique, elle peut permettre d'obtenir un avantage computationnel sur les processus équivalents n'en utilisant pas. A l'instar du principe de superposition qui permet une parallélisation des calculs dans un circuit quantique, on comprend intuitivement que l'utilisation de superpositions causales peut permettre de superposer l'enchaînement de portes d'un circuit quantique, ouvrant de nouvelles possibilités. Il a déjà été montré sur certains exemples que l'utilisation du « quantum switch » donnait un avantage par rapport à un processus réalisant la même tâche sans utiliser de superposition causale (par exemple, [3, 7, 8, 9]). Cet avantage peut aussi être utilisé en thermodynamique quantique, où il a été récemment montré que les superpositions causales pouvaient avoir un intérêt. Ce domaine s'intéresse notamment à la façon dont on peut mettre à profit l'utilisation des phénomènes sans équivalents classiques, que sont par exemple l'intrication et la superposition quantique, pour améliorer les performances de machines thermiques. En raisonnant par analogie avec des travaux d'information quantique [10], il a été montré théoriquement et expérimentalement [11, 12], qu'il était possible de fabriquer une machine thermique composée de deux bains thermiques à la même température, en conjuguant leur utilisation avec celle d'un « quantum switch ». Cependant il a été montré [13] que cet avantage pouvait être obtenu voire même surpassé par des systèmes utilisant des superpositions cohérentes de trajectoires de manière différente, en conservant un ordre causal bien défini. Le rôle des superpositions causales dans cet avantage a donc été remis en question [13, 14], laissant ouverte la question de comprendre quel était le rôle des superpositions causales dans l'effet observé. Que ce soit d'un point de vue informationel ou thermodynamique, le rôle et l'avantage des superpositions causales, notamment grâce au « quantum switch », reste donc à clarifier. En outre, les superpositions causales ont des implications fondamentales fortes. En relativité générale, la structure causale est dynamique tout en restant bien définie. L'idée a donc été avancée que la conjugaison de la mécanique quantique et de la relativité générale nécessitait de considérer une structure causale indéfinie [15]. Les problèmes conceptuels autour de la flèche du temps – le fait que si les lois de la physique sont symétriques par renversement du temps, nous n'observons cependant qu'une seule direction du temps, en accord avec la seconde loi de la thermodynamique – ont été approchés par des travaux en thermodynamique quantique utilisant des superpositions temporelles [16]. L'idée n'est alors plus de superposer deux ordres causaux, mais deux directions temporelles inverses. Par exemple, on considère la superposition du visionnage d'un film dans deux directions temporelles inverses : la première direction étant celle naturelle, le film va « en avant », l'entropie augmente, et l'autre étant son « renversé temporel », où l'entropie diminue. En réalisant une mesure quantique de l'entropie, on peut distinguer les deux directions temporelles. Si la mesure révèle une grande valeur positive de l'entropie, alors la superposition est projetée sur la direction « en avant ». A l'inverse, si la mesure révèle une grande valeur négative, alors c'est la direction du « renversé temporel » qui est mesurée. Dans le régime où la mesure de l'entropie révèle une valeur positive ou négative mais faible de l'entropie, il faut prendre en compte les interférences entre les deux directions temporelles, ce qui donne lieu à un brouillage de la flèche du temps. Cette nouvelle approche des problématiques liées à la flèche du temps ouvre des pistes pour parvenir à en avoir une meilleure compréhension. Objectifs Ce projet est à l'intersection des fondements de la mécanique quantique, de la théorie de l'information quantique et de la thermodynamique quantique. Son objectif principal est d'améliorer la compréhension actuelle des superpositions causales, en s'appuyant notamment sur leurs utilisations en information quantique et thermodynamique quantique. Ces deux champs de la physique ayant de nombreuses connexions, le doctorant s'attèlera à les utiliser de façon conjuguée. Il s'agira tout d'abord de préciser la nature de l'avantage, déjà observé, que les superpositions causales peuvent apporter. S'il a été montré sur une tâche donnée que le « quantum switch » surpassait un processus équivalent n'utilisant pas de superposition causale, il a ensuite été montré en information quantique que le « quantum switch » pouvait aussi être surpassé par un processus utilisant des superpositions cohérentes de trajectoires mais ayant un ordre causal bien défini [13, 17]. Le doctorant commencera par s'intéresser aux superpositions cohérentes de trajectoires d'un point de vue thermodynamique, de façon à donner un nouvel éclairage à une question pour le moment principalement traitée par des approches informationnelles. Il étudiera ensuite comment ses résultats à propos des différentes formes de superpositions – superposition causale ou superposition cohérente de trajectoires – peuvent permettre la réalisation de nouvelles tâches. Là encore, cette étude peut s'envisager aussi bien d'un point de vue informationnel, avec la création de nouveaux circuits quantiques, que d'un point de vue thermodynamique, avec la création de machines thermiques. Des relations plus profondes entres les avantages obtenus dans ces deux domaines seront étudiées. Le projet consistera aussi à explorer les pistes indiquant que la superposition quantique des évolution thermodynamique « en avant » et de son « renversé temporel » permet de donner un nouvel éclairage au problème de la flèche du temps. Les interférences entre ces deux évolutions temporelles permettent de générer des situations physiques nouvelles sans équivalent dans le formalisme usuel. Par exemple, elles permettent la mise en place d'une machine thermique fonctionnant dans la superposition du mode « moteur thermique » et du mode inverse « réfrigérateur », offrant des scénarios inédits. Il s'agira de comprendre ce que ces nouveautés apportent au niveau fondamental et comment elles peuvent être exploitées en pratique. [1] Ognyan Oreshkov, Fabio Costa et Časlav Brukner. “Quantum correlations with no causal order”. Nat. Commun. (2012). [2] Giulio Chiribella et al. “Quantum computations without definite causal structure”. Phys. Rev. A (2013). [3] Mateus Araújo, Fabio Costa et Časlav Brukner. “Computational Advantage from Quantum-Controlled Ordering of Gates”. Phys. Rev. Lett. (2014). [4] Lorenzo M. Procopio et al. “Experimental superposition of orders of quantum gates”. Nat. Commun. (2015). [5] Giulia Rubino et al. “Experimental Verification of an Indefinite Causal Order”. Sci. Adv. (2017). [6] Kaumudibikash Goswami et al. “Indefinite Causal Order in a Quantum Switch”. Phys. Rev. Lett. (2018). [7] Giulio Chiribella. “Perfect discrimination of no-signalling channels via quantum superposition of causal structures”. Phys. Rev. A (2012). [8] Philippe Allard Guérin et al. “Exponential Communication Complexity Advantage from Quantum Superposition of the Direction of Communication”. Phys. Rev. Lett. 117 (2016). [9] Márcio M. Taddei et al. “Computational Advantage from the Quantum Superposition of Multiple Temporal Orders of Photonic Gates”. PRX Quantum (2021). [10] Daniel Ebler, Sina Salek et Giulio Chiribella. “Enhanced Communication with the Assistance of Indefinite Causal Order”. Phys. Rev. Lett. (2018). [11] David Felce et Vlatko Vedral. “Quantum Refrigeration with Indefinite Causal Order”. Phys. Rev. Lett. (2020). [12] Xinfang Nie et al. “Experimental Realization of a Quantum Refrigerator Driven by Indefinite Causal Orders”. arXiv :2011.12580 [quant-ph] (2020). [13] Alastair A. Abbott et al. “Communication through coherent control of quantum channels”. Quantum (2020). [14] Hlér Kristjánsson et al. “Resource theories of communication”. New J. Phys. (2020). [15] Philippe Allard Guérin et Časlav Brukner. “Observer-dependent locality of quantum events”. New J. Phys. (2018). [16] Giulia Rubino, Gonzalo Manzano et Časlav Brukner. “Time's Arrow of a Quantum Superposition of Thermodynamic Evolutions”. arXiv :2008.02818 [quant-ph] (2020). [17] Giulia Rubino et al. “Experimental quantum communication enhancement by superposing trajectories”. Phys. Rev. Research (2021).