Thèse en cours

Conséquence de la construction européenne sur la gestion des services publics par les collectivités territoriales

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Auteur / Autrice : Thierry Gamba-Martini
Direction : David Capitant
Type : Projet de thèse
Discipline(s) : Sciences juridiques
Date : Inscription en doctorat le 06/10/2020
Etablissement(s) : Paris 1
Ecole(s) doctorale(s) : École doctorale de droit de la Sorbonne (Paris ; 2015-....)
Partenaire(s) de recherche : Laboratoire : Institut des sciences juridique et philosophique de la Sorbonne (Paris ; 2015-....)

Résumé

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La construction européenne est d’abord le fait des États « qui ont choisi librement d'exercer en commun certaines de leurs compétences en vertu du traité sur l'Union européenne et du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne » (article 88-1 de la Constitution), et, dans un tel contexte de relations internationales interétatiques, la place des collectivités territoriales n’est pas a priori déterminante. Les différents États membres de l’Union européenne se distinguent, notamment, par la diversité de leur organisation territoriale. Les collectivités territoriales de tous les États membres doivent, à la fois, faire face aux demandes pressantes des citoyens auxquels les services publics doivent être assurés et, ce d’autant dans l’ensemble français où cohabitent des métropoles émergentes et un milieu rural dont le poids reste considérable à plus d’un titre. Et que ce soit dans l’un ou l’autre de ces environnements, les exigences à l’égard du service public demeurent fortes de la part des usagers. En outre, la dépense publique, même si elle se veut vertueuse, se voit contrainte, également, par les règles européennes. Manifestement, pour répondre aux exigences de cohérence budgétaire, financière et économique de l’Union, il existe un lien entre l’évolution de l’organisation territoriale de l’État et la construction européenne. Cette politique européenne a pour effet de faire de la région l’échelon relais des politiques communautaires sur le territoire national. Au travers de ce niveau de collectivité, l’Union élabore un schéma de développement de l’espace communautaire qui passe par le développement de la région, ainsi reconnue comme actrice de la construction européenne. L’organisation et les compétences attribuées par l’État aux collectivités territoriales ont été progressivement mises en adéquation avec certaines décisions de l’Union européenne : la région s’est progressivement affirmée comme le niveau de collectivité le plus compatible avec l’Union européenne. Ce d’autant que les compétences des régions comprennent l’organisation des « grands » services publics locaux : les transports notamment et les aides économiques. Cependant, et avant tout autre examen, il conviendra de rappeler, par une approche historique, comment la notion française de « service public » a été et est appréhendée à l’échelon européen, mais, en outre, lorsqu’il est admis, par l’Union européenne, les modalités de gestion d’un service public sont soumises à une approche distincte en droit français et en droit de l’Union. On s’intéressera aux évolutions de cette notion au sein des traités successifs (articles 16, 86 et 87 du traité instituant la Communauté européenne, article 14 du traité de Lisbonne, ainsi que le protocole n° 26), des actes de la Commission (« paquets » Monti-Kroes, Almunia) ainsi que de l’évolution de la jurisprudence européenne (notamment CJCE – 24 juillet 2003 – Altmark ) et celle des juridictions administratives françaises. La délégation de service public n’est pas une notion distincte du marché public en droit de l’Union. Mais, en amont, l’attention devra se porter sur l’existence même d’un service public, au vu, notamment, des plus récentes communications de la Commission à ce sujet, laquelle estime que les collectivités territoriales doivent s’assurer préalablement de l’absence de toute initiative privée, selon des modalités qu’il conviendra d’examiner. Le traité ne définit pas ce qu’est une aide d’Etat. La Cour de justice a retenu une conception « objective » et extensive de cette notion : afin « d’apprécier s’il y a aide, il convient (...) de déterminer si l’entreprise bénéficiaire reçoit un avantage économique, qu’elle n’aurait pas obtenu dans des conditions de marché » (CJCE - 11 juillet 1996 – SFEI - aff.C-39/94). Quant à la Commission, celle-ci estime que les articles 107 à 109 TFUE sont applicables à l’ensemble des activités couvertes par le traité, soit « toute activité́ rémunérée, qu’elle ait un caractère économique, culturel, social ou autre » (décision n° 89/441 du 21 décembre 1988, JOCE L 208, 20 juillet 1989, p. 38.). La Cour de justice précise que « l’article 87 § 1 [devenu 107 § 1 TFUE] ne distingue pas selon les causes ou les objectifs des interventions étatiques, mais les définit en fonction de leurs effets » (CJCE - 26 septembre 1996 - France c/Commission - aff.C-241/94). Ainsi, l’aide pourrait se définir comme « une intervention procurant un avantage anormal, qui favorise l’entreprise bénéficiaire au détriment des autres entreprises ». En droit de l’Union européenne, la notion d’entreprise s’entend comme « toute entité́ exerçant une activité́ économique, indépendamment du statut juridique de cette entité́ et de son mode de financement » (CJCE - 23 avril 1991 - Höfner – aff. C-41/90). La notion d’activité́ économique est définie comme « toute activité consistant à̀ offrir des biens ou des services sur un marché donné » (CJCE – 16 juin 1987 - Commission c/Italie - aff.C-118/85 ; CJCE – 25 octobre 2001 – Ambulanz Glöckner – aff. C-475/99) A ce titre, les interventions de la Commission et l’analyse de la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union européenne (à titre d’exemples : CJCE – 24 juillet 2003 – Altmark ; CJCE – 9 mars 1994 – Deggendorf ; SERNAM, avec en dernier lieu : CJUE – 7 mars 2018 C-127/16 SNCF c/Commission ; SNCM, avec notamment CJUE - 9 juillet 2015 - Commission/France) permettront de fixer les contours de la position européenne sur cette matière en relation avec les actions des collectivités territoriales. Il conviendra de s’intéresser aux conséquences juridiques du statut de l’opérateur du service public, y compris lorsque la collectivité a créé ou participe à une forme entrepreneuriale et que l’opérateur bénéficie d’une aide de la collectivité. Son action pourra être considérée comme une aide d’Etat lorsque son investissement n’est pas raisonnable. De même, si l’entreprise est en déclin et que l’État ou la collectivité la maintient artificiellement en activité sur critères sociaux, il s’agira bien d’une aide d’État. A titre complémentaire, la définition et la portée de la gestion « in house », mode d’opération des services publics locaux qui s’est développé dans les collectivités territoriales françaises, mériteront de s’y attarder, compte tenu des limites que lui apportent les institutions européennes. A ce titre, le cas de la SNCM, société de navigation assurant le service public de la continuité territoriale entre le continent français et la Corse, longtemps société nationale, puis privatisée, permettra de mieux appréhender et d’illustrer les missions et obligations de la collectivité responsable de l’organisation d’un service public, en particulier en matière de contrôle et de sanction des mesures d’aides d’Etat, s’agissant de la Commission européenne, mais également du juge administratif qui a eu l’occasion d’intervenir, dans ce dossier, à plusieurs reprises, et, enfin de la justice européenne. Au demeurant, ce sera l’occasion de s’intéresser à la place de la notion de continuité territoriale a fait l’objet depuis les années 2000, d’un débat qui ne concerne plus, pour la France, la seule Corse, qui fait toujours l’objet de critiques de la part des services de la Commission européenne : celle-ci a d’ailleurs ouvert une enquête approfondie sur les contrats de délégation de service public relatifs à la desserte maritime de la Corse pour la période 2019-2020 (communiqué de presse – IP/20/350 - 28/02/2020). En outre, cette notion s'est étendue, d'une part, aux collectivités d'outre-mer, et s'est « propagée » à d'autres territoires de l'Union européenne. A ce titre, la situation de la desserte des îles européennes serait tout aussi intéressante à examiner et une comparaison des législations nationales paraît pertinente. Ce principe de continuité territoriale a été progressivement « érigé » en concept de service public, à partir du XIXème siècle, pour la Corse, mais ne s'est concrétisé juridiquement et budgétairement pour l'outre-mer français qu'au début des années 2000. Reposant sur le principe originel de cohésion fondant la construction européenne, un règlement de 1992 permet aux États membres d'instituer des obligations de service public auxquelles sont soumises les entreprises de transport. La libéralisation des marchés intérieurs, dont celui du cabotage, a progressivement changé la donne novant le service public et en limitant le champ. Il convient aujourd'hui d'en adapter les éléments au contexte de la prégnance du droit européen. Dès 2012, au-delà du cas des transports, la Commission a lancé une initiative de « modernisation de la politique en matière d'aides d’État », pour clarifier la portée des règles de l'Union européenne relatives aux aides d’État et faciliter les investissements publics. Elle a également adopté des règlements pour définir certaines aides horizontales compatibles. Sauf pour les aides versées dans les domaines des transports et de l'agriculture, ces aides sont appelées « aides de minimis » et ne sont pas visées par le droit européen. Il sera nécessaire d’examiner de manière exhaustive les modalités du contrôle des aides d’État par la Commission, et, notamment, les procédures mises en œuvre lorsqu’elle constate qu’une aide n’est pas compatible. Ainsi, il sera pertinent, d’une part, de consacrer quelques développements aux règles posées par le code général des collectivités territoriales quant à la responsabilité supportée par les régions, présentement, en cas d’aide versée indûment au regard des règles européennes, et, d’autre part, d’examiner les termes des réglementations d’autres États membres. Dans ce cadre, on pourra s’intéresser au contentieux né de la mise en œuvre de ce texte, dans sa rédaction issue de l’article 78 de la loi n° 2014-58 du 27 janvier 2014 de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles. Ainsi le droit national et plus précisément, l'article L.1511-1-1 du code général des collectivités territoriales prévoient l'obligation d'exécution de la décision de la Commission européenne par une collectivité territoriale lorsqu'elle a versé l'aide illégale. Ainsi, on examinera les formes fixées par la jurisprudence européenne pour que la Commission accepte l’abandon du remboursement des aides d’Etat. Ces axes d’études et de réflexion conduiront à apporter quelques éclaircissements aux questions soulevées et relatives aux conséquences de la construction européenne sur la place des collectivités territoriales, et, plus particulièrement, sur la gestion de leurs services publics locaux.