Projet de thèse en Philosophie
Sous la direction de Laurent Gerbier.
Thèses en préparation à Tours , dans le cadre de Humanités et Langues - H&L , en partenariat avec Centre d'études supérieures de la Renaissance (Tours ; 1956-....) (laboratoire) depuis le 24-09-2018 .
Le libertinage français du XVIIe siècle, parfois présenté comme un « envers du Grand Siècle », est un phénomène littéraire, philosophique et social bien plus complexe que ce que laisse penser sa réputation sulfureuse. L'un des aspects les plus révélateurs de cette complexité est la dimension politique du libertinage, et il s'agit donc d'ériger en problème central la question suivante : existe-t-il une pensée politique propre au courant libertin, et comment la définir ? Il faut remarquer que, d'une part, certains libertins, tels que Théophile de Viau, sont condamnés pour impiété et obscénité par la puissance publique qui s'appuie sur les positions anti-libertines des Jésuites ; ce constat laisse supposer que la pensée libertine serait alors clandestine, réprouvée et persécutée. Mais, d'autre part, des auteurs libertins à l'instar de Gabriel Naudé dans ses Considérations politiques sur les coups d'État, semblent au contraire soutenir et légitimer la puissance monarchique dans ses effets les plus absolus. La pensée politique des libertins serait-elle finalement favorable à l'absolutisme monarchique ? C'est dans la tension entre ces deux pôles que se déploiera le travail de recherche. Pour penser cette tension, l'approche proposée naguère par René Pintard (1943), qui distinguait entre un libertinage érudit et un libertinage de mœurs nettement divergents, ne semble plus pertinente : les travaux de Sophie Gouverneur (2005) ont au contraire montré qu'il était plus fécond de considérer que le libertinage déploie sur le plan politique un « discours masqué » analogue à celui qui le caractérise sur le plan religieux. C'est en examinant ce discours politique masqué, qui implique des stratégies d'écriture aussi bien que des stratégies sociales, que l'on peut tenter de réinscrire la pensée civile des libertins dans l'histoire de la pensée politique de l'Europe moderne. Le travail envisagé se déroulera en trois temps : D'une part, il s'agira d'examiner la construction complexe et non-systématique de la pensée politique des libertins, tout en prenant en compte la civilité libertine elle-même, c'est-à-dire les pratiques sociales et politiques des libertins. Le corpus mis à contribution pour cette étape est principalement composé des œuvres et de la correspondance de deux auteurs essentiels, François de La Mothe Le Vayer et Gabriel Naudé. D'autre part, sera posée la possibilité de réinscrire le libertinage dans la continuité d'une approche critique de la politique propre à la pensée moderne, en articulant les théories et les pratiques libertines à certains auteurs du XVIe et du XVIIe siècle, en particulier Machiavel et Baltasar Gracián qui ouvrent le champ d'investigation au-delà des frontières françaises, mais qui permettent aussi et surtout de replacer le libertinage français dans le maillage de l'histoire des idées. Enfin, on voudrait saisir le dispositif de la politique libertine à partir de sa réception dans ce que Jonathan Israel (2001) appelle les Lumières radicales, qui interrogent les notions de liberté politique et de républicanisme en particulier chez Spinoza, et leurs sources dans le premier XVIIe siècle, et que l'on lira à partir du Tractatus theologico-politicus et du Traité des trois imposteurs, ou l'esprit de Spinosa (Anonyme). Cette catégorie relativement récente contribue à jeter un nouvel éclairage sur l'héritage des libertins, sur les effets de leurs textes et de leurs pratiques jusqu'au début du XVIIIe siècle. À travers ces trois étapes, ces recherches entendent poser à nouveaux frais la question de la consistance historiographique de la catégorie même de « libertinage » : d'abord défini par ses détracteurs (au premier rang desquels le jésuite François Garasse, qui participa activement à la condamnation de Théophile de Viau), le libertinage constitue-t-il une catégorie pertinente de l'histoire de la philosophie, ou faut-il à la suite des travaux de Louise Godard de Donville (1989) lui refuser toute consistance ? Les dissensions entre spécialistes sont constitutives de l'étude du libertinage puisque les textes déploient des stratégies d'écriture qui cherchent à masquer la position de l'auteur. C'est là précisément la spécificité des querelles historiographiques autour du libertinage : elles s'enracinent dans les ambiguïtés entretenues par les auteurs eux-mêmes, qui les ont peut-être programmées et pas seulement permises, et c'est pourquoi il y a un sens philosophique aux désaccords des commentateurs qu'il est nécessaire de mettre en lumière. L'examen de ces dissensions permettra une réévaluation des usages de l'idée de «libertinage » : il s'agira alors d'ouvrir une réflexion critique sur le sens des concepts historiques que mobilise la philosophie pour décrire les écoles, les courants et les réseaux qui marquent la pensée moderne.
Serving and criticizing the State : libertinism's politics in Naudé and La Mothe Le Vayer
French libertinism in the 17th century has been, since its origins, a controversial matter. Indeed, the word 'libertinage' was used by the apologists to name, and to insult, the free-thinkers, the licentious poets and the unorthodox philosophers. And the scholars, since the late 19th century, who took interest in this particular corpus of authors, the 'libertins', inherited these bias and moral prejudices toward the very same object of their researches. Nevertheless, since the early 2000's, the research field in literature, philosophy and history that study libertinism has found new ways to read and understand this underrated part of french history, reassessing the 17h century narrative. Our work will therefore take place in this movement, by asking the question of political philosophy in the texts of writers like Gabriel Naudé or François de La Mothe Le Vayer : is the political content of libertinism can be apprehended as a theoretical unit ? Or do the necessary precautions in writing limit the range and the strength of its discourses to the point where no positive stance can be drawn ?