Thèse soutenue

"Sommes-nous réellement envahis par les anglicismes ?" Anglicismes et unilinguisme : analyse lexicologique et évaluation de l'efficacité des dispositifs d’enrichissement de la langue française

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Auteur / Autrice : Léopold Julia
Direction : Carmen Alén Garabato
Type : Thèse de doctorat
Discipline(s) : Sciences du langage
Date : Soutenance le 14/06/2023
Etablissement(s) : Montpellier 3
Ecole(s) doctorale(s) : École doctorale 58, Langues, Littératures, Cultures, Civilisations
Partenaire(s) de recherche : Laboratoire : DIPRALANG (Montpellier) - Laboratoire de sociolinguistique- d’anthropologie des pratiques langagières et de didactique des langues-cultures / DIPRALANG
Jury : Président / Présidente : Bernard Cerquiglini
Examinateurs / Examinatrices : Agnès Steuckardt
Rapporteurs / Rapporteuses : John Humbley, Gilles Siouffi

Résumé

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En matière de politiques linguistiques, Boyer (2000) avait habilement défini l'unilinguisme français par la formule : « ni concurrence (pour la langue nationale), ni déviance (par rapport à l'usage légitime) ». D'un point de vue sociolinguistique, l'accueil réservé aux anglicismes par le français de France semble parfaitement illustrer la dualité de cet unilinguisme puisqu'il témoigne à la fois de la concurrence jugée déloyale de l'anglais sur le marché linguistique, mais aussi du fait que, très souvent, « anglicisme » reste synonyme de « barbarisme » : les dimensions extra- et intra-linguistiques seraient donc concomitamment affectées par ce phénomène. Les puristes alarmistes, depuis le pamphlet d’Étiemble paru en 1964, ne manquant pas d’alerter régulièrement sur la menace qui planerait sur la langue française, deux questions se sont imposées : Sommes-nous réellement « envahis » par les anglicismes ? Si tel est le cas, quelle est l'efficacité de nos moyens de « lutte » ?Ce travail propose des éléments de réponse, en analysant d’abord l'évolution de la proportion d'anglicismes parmi les nouvelles entrées lexicales des dictionnaires d'usage Petit Larousse Illustré (PLI) et Petit Robert (PR) sur la période 1998-2023, nous plaçant ainsi dans un paradigme micro-diachronique (Siouffi, Steuckardt & Wionet, 2012) dans les champs de la lexicologie, la néologie et la métalexicographie. Notre hypothèse est en effet la suivante : s'il est avéré que le français de France est « envahi » par les anglicismes, alors ces derniers doivent être proportionnellement de plus en plus nombreux dans nos dictionnaires. À travers une analyse quantitative mais également quali-quantitative (typologique, grammaticale et sémantique) de notre corpus de plus de mille anglicismes ayant intégré le PLI et/ou le PR ces vingt-cinq dernières années, nous montrerons que la « menace » est toute relative. Si le taux moyen d'anglicismes parmi les nouvelles lexies semble de nos jours atteindre 20 à 25%, nous avançons que les dynamiques néologiques impliquées, au-delà des « contraintes dictionnairiques » (Martinez, 2011), sont sujettes à un effet de « mode langagière », et qu'en outre le français fait au contraire preuve d'une réelle vitalité en usant de ses propres « ressources lexicogéniques » (Saugera, 2017). Ces résultats nous conduiront à définir une nouvelle typologie des anglicismes s'appuyant sur celle de Candel et Humbley (2017), mais également à formaliser un changement de paradigme quant aux représentations sur les emprunts : nous considérons en effet que nous avons basculé d'une « xénoglossophobie savante » (Cerquiglini, 2006) à une « anglomanie de marché ».Puisqu'une augmentation moyenne de la proportion d'anglicismes dans nos dictionnaires est néanmoins quantifiable en diachronie et micro-diachronie, nous expliciterons ensuite le cadre méthodologique nous ayant permis d'éprouver l'efficacité des dispositifs institutionnels d'enrichissement de la langue française en réponse à ces emprunts. En conservant les mêmes jalons analytiques (quantitatifs et quali-quantitatifs : typologie, grammaire et sémantique), nous avons croisé plusieurs sources officielles impliquées dans le processus de néologie française instiguée par la Commission d’enrichissement de la langue française afin de constituer une liste de dix anglicismes unanimement critiqués et pour lesquels une « recommandation officielle » est proposée en substitution. Par une recherche par occurrences auprès d’un corpus d’articles de presse française, nous avons pu quantifier l’usage respectif des lexies concurrentielles (anglicisme / équivalent français) et conclure que les recommandations officielles peinent à s’imposer dans les usages. Ce qui nous conduit in fine à interroger notre problématique et nos hypothèses : l’ambition d’une entité telle que la CELF est-elle d’aller contre l’usage, ou de garder dynamique la néologie francophone tout en luttant contre d’éventuelles insécurités linguistiques ?