Projet de thèse en Etudes politiques
Sous la direction de Ève Chiapello.
Thèses en préparation à Paris, EHESS , dans le cadre de École doctorale de l'École des hautes études en sciences sociales depuis le 17-10-2018 .
À la croisée de la sociologie politique, de la sociologie des professions et de la sociologie de l’expertise, cette thèse étudie le rôle de l’évaluation dans la construction d’un investissement public européen, plus particulièrement dans la Politique européenne de Cohésion. Depuis les années 1970, plusieurs entreprises savantes, articulant instruments analytiques et discours normatifs, se sont développées sous le label « d’évaluation » pour planifier et rendre compte des investissements réalisés au nom de l’Union. Nous proposons de saisir les pratiques évaluatives pour l’ambiguïté de leur position : organisées dans les marges de l’administration et sous sa direction, elles visent pourtant à en faire la critique et à questionner ses résultats. Déroulant cette perspective, la thèse expose comment l’évaluation est devenue indissociable de la conduite de la Politique de Cohésion : elle y a pris les traits d’une critique sous contrôle, façonnée dans un espace interstitiel entre administration, universités et cabinets de conseil. Plus généralement, ce cas européen nous permet de mettre en lumière une dynamique de « cooptation de la critique » centrale dans le développement de l’évaluation. En enrôlant des évaluateurs pour organiser sa propre critique, l’administration ne parvient pas à dissiper les doutes sur ses résultats et ses échecs : elle provoque au contraire un accroissement régulier des pratiques et acteurs de l’évaluation, qui se proposent de combler les limites toujours repoussées de l’incertitude. Nous retraçons les configurations successives qui ont vu trois « courants » s’articuler autour de l’enjeu de l’évaluation, véritable « objet-frontière » du dialogue critique sur l’investissement européen : un courant « planificateur», qui milite dès les années 1960 pour une Europe de l’investissement régional collectif contre les faiblesses des États ; un courant « économe », mobilisé par la modulation de ces dépenses européennes et leur justification en termes de « coûts-bénéfices » ; un courant « vocationnel », qui chercher à établir le profil de l’évaluateur indépendant comme un intermédiaire critique des politiques publiques sur un modèle nord-américain. L’étude des interactions entre ces courants sur la longue durée nous permet de relire l’intégration européenne à la lumière des entreprises et des acteurs qui ont cherché à dire « ce qu’elle vaut », tout en nous permettant de cartographier l’un des marchés experts les plus dynamiques autour des politiques communautaires. Dans cette thèse, nous mobilisons des archives institutionnelles et des archives privées des années 1950 à nos jours. Nous nous appuyons également sur des entretiens (n=115) avec des « demandeurs » d’évaluation (euro-fonctionnaires, fonctionnaires nationaux, élus) et des « offreurs » (consultants, universitaires). Des observations dans plusieurs conférences organisées par la Commission européenne sur les thématiques de l'évaluation (à Bruxelles, Bucarest, Porto, Paris) complètent l’ensemble. Nous avons enfin construit et exploité des bases de données sur les cabinets de conseil et structures qui réalisent des évaluations, nous permettant d’aboutir à une cartographie et une analyse de réseau inédite de ce marché de 1990 à nos jours. Nous retraçons les configurations successives qui ont vu trois « courants » s’articuler autour de l’enjeu de l’évaluation, véritable « objet-frontière » du dialogue critique sur l’investissement européen : un courant « planiste », qui milite dès les années 1960 pour une Europe de l’investissement régional collectif contre les faiblesses des États ; un courant « économe », mobilisé par la modulation de ces dépenses européennes et leur justification « coûts-bénéfices » ; un courant « vocationnel », qui représente une tentative d’institutionnaliser l’évaluateur indépendant comme un intermédiaire critique des politiques publiques sur un modèle nord-américain. L’étude des interactions de long terme entre ces courants nous permet de relire l’intégration à la lumière des entreprises et des acteurs qui ont cherché à dire « ce qu’elle vaut », tout en nous permettant de cartographier l’un des marchés experts les plus dynamiques autour des politiques communautaires. Dans cette thèse, nous mobilisons des archives institutionnelles et des archives privées des années 1950 à nos jours. Nous mobilisons également des entretiens avec des « demandeurs » d’évaluation (euro-fonctionnaires, fonctionnaires nationaux, élus) et des « offreurs » (consultants, universitaires) (n=115 enquêtés). Des observations dans plusieurs conférences organisées par la Commission européenne sur les thématiques de l'évaluation (à Bruxelles, Bucarest, Porto, Paris) ont également été réalisées. Nous avons enfin construit et exploité des bases de données sur les cabinets de conseil et structures qui réalisent des évaluations, nous permettant d’aboutir à une cartographie et une analyse de réseau inédite de ce marché de 1990 à nos jours.
Building on political sociology, the sociology of professions and the sociology of expertise, this thesis investigates the role of evaluation in shaping European public investment, particularly in the Cohesion Policy. Since the 1970s, various endeavours blending analytical tools and normative discourse have emerged under the label “evaluation” to plan and account for investments made on behalf of the Union. We aim to capture the ambiguous political positioning of these evaluative practices, which, while organized within the administration and under its direction, also aim to its critique and to challenge its outcomes. Following this path, the thesis demonstrates how evaluation has become an integral part of the Cohesion Policy's implementation. It has evolved into a controlled form of criticism, shaped in an interstitial space between administration, universities, and consulting firms. More broadly, this European case sheds light on a significant 'co-optation of critique' dynamic in the evolution of evaluation. By enlisting evaluators to organize its own critique, the administration does not dispel doubts about its results and shortcomings. On the contrary, it triggers a continuous expansion of evaluation practices and actors, who aim to bridge the ever-widening boundaries of uncertainty. The thesis traces the historical articulation of three distinct “streams” [courants] revolving around evaluation and its critical dialogue on European investment: a “planning” stream advocating for a Europe of collective regional investment to address state weaknesses since the 1960s; an “economic” stream mobilized for the modulation of European expenditures and their “cost-benefit” justification; last, a “vocational” stream attempting to institutionalize independent evaluators as critical intermediaries in public policies, inspired by the North American model. Studying the long-term interactions between these streams allows us to reinterpret integration, shedding light on the actors who have sought to assess its value. This investigation also provides a novel mapping and network analysis of one of the most dynamic expert markets concerning community policies. The thesis draws on institutional and private archives spanning from the 1950s to the present day. Additionally, we conducted interviews with evaluation “clients” (EU officials, national civil servants, elected representatives) and “suppliers” (consultants, academics) (n=115 respondents). Observations at various conferences organized by the European Commission on evaluation topics (in Brussels, Bucharest, Porto, Paris) have also been conducted. Finally, we constructed and analysed databases on consulting firms and organizations conducting evaluations, leading to a comprehensive mapping and network analysis of this market from 1990 to the present day.