Projet de thèse en Philosophie
Sous la direction de Sophie Roux et de Soraya Boudia.
Thèses en préparation à l'Université Paris sciences et lettres , dans le cadre de École doctorale Lettres, Arts, Sciences humaines et sociales (Paris ; 2010-....) , en partenariat avec La République des Savoirs : Lettres, Sciences, Philosophie (laboratoire) et de École normale supérieure (Paris ; 1985-....) (établissement opérateur d'inscription) depuis le 01-09-2018 .
Comment les imposantes mais fragiles infrastructures dont nous dépendons sont-elles masquées par des représentations imaginaires de la technique ? Comment un résidu industriel nuisible peut-il être compris comme un bien de valeur ? Cette thèse aborde ces questions en adoptant une démarche qui se situe à la croisée d'une philosophie des techniques inspirée de Marx et de Simondon et d'une étude de cas menée avec des méthodes des STS et de l'épistémologie historique. Depuis les années 1950, de nombreuses personnes au sein de l'industrie nucléaire française soutiennent la chose suivante : le combustible nucléaire irradié, sorti chaud, toxique et critique du réacteur, d'abord exploité pour les besoins de la bombe atomique, contient un stock énergétique de valeur tant pour le marché actuel que pour la vertueuse société d'abondance à venir il doit donc être « retraité », « recyclé », « multi-recyclé ». Le « cycle du combustible fermé », stratégie aujourd'hui en perte de crédibilité, autorise alors un paradoxe : afin de gérer les résidus radioactifs de façon optimale, il faut les produire en masse. Ma thèse mène une généalogie critique de cette « matière valorisable » le résidu radioactif transfiguré en capital fissile de l'avenir et du système technique futuriste qui lui est associé l'écologie imaginaire d'une industrie sans milieu naturel. Elle en retrace les formulations plurielles, tantôt convergentes, tantôt divergentes, chez les ingénieurs de conception, les économistes, les représentants français aux sommets internationaux, les ingénieurs de sûreté et les travailleurs des usines de retraitement du combustible irradié. Elle mène conjointement une analyse critique des discours sur un cas exemplaire de circularité technique imaginaire, et une élucidation de certaines des conditions de déploiement et de maintenance des ensembles techniques nucléaires, dont on commence à peine à mesurer l'ampleur de l'héritage radioactif.
Fertile Matter. Radioactive residue, fissile capital and the imaginary ecology of the nuclear industry.
How are the imposing but fragile infrastructures on which we depend masked by imaginary representations of technology? How can an industrial residue be understood as a valuable commodity? This thesis addresses these questions by adopting an approach that is at the crossroads of a philosophy of technology inspired by Marx and Simondon and a case study conducted with methods from STS and historical epistemology. Since the 1950s, many people in the French nuclear industry have argued that the irradiated nuclear fuel, which came out of the reactor hot, toxic and critical, and which was first used for the needs of the atomic bomb, contains a valuable energy stock for both the current market and the virtuous society of abundance to come - it must therefore be "reprocessed", "recycled", "multi-recycled". The "closed fuel cycle", a strategy that is losing credibility today, allows for a paradox: in order to manage radioactive residues in an optimal way, they must be mass-produced. My thesis conducts a critical genealogy of this "valorizable material" - the radioactive residue transfigured into the fissile capital of the future - and of the futuristic technical system associated with it - the imaginary ecology of an industry without natural environment. It traces the plural formulations, sometimes convergent, sometimes divergent, among design engineers, economists, French representatives at international summits, safety engineers, and workers in spent fuel reprocessing plants. It conducts a critical analysis of the discourses on an exemplary case of imaginary technical circularity, and an elucidation of some of the conditions of deployment and maintenance of nuclear technical assemblies, the extent of whose radioactive legacy we are just beginning to measure.