Thèse soutenue

Enjeux épistémologiques de l'usage judiciaire des neurosciences : une analyse du pouvoir explicatif de la neurocriminologie
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Auteur / Autrice : Marie Penavayre
Direction : Pascal DurisThomas Boraud
Type : Thèse de doctorat
Discipline(s) : Épistémologie et histoire des sciences
Date : Soutenance le 27/11/2020
Etablissement(s) : Bordeaux
Ecole(s) doctorale(s) : École doctorale Sciences et Environnements (Pessac, Gironde)
Partenaire(s) de recherche : Laboratoire : Sciences, Philosophie, Humanités (Bordeaux)
Jury : Président / Présidente : Marie Gaille
Examinateurs / Examinatrices : Pascal Duris, Thomas Boraud, Céline Cherici, Cédric Brun, Sonia Desmoulin-Canselier, Steeves Demazeux, Luc Faucher
Rapporteurs / Rapporteuses : Marie Gaille, Céline Cherici

Mots clés

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Résumé

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Ce travail de thèse propose une analyse épistémologique des études publiées dans le domaine de la neurocriminologie, vaste programme de recherche mené dans l’objectif de redéfinir le problème de la criminalité en termes neurobiologiques, et qui vise à isoler les spécificités cérébrales des individus représentant une menace pour la société. L’objectif principal est d’évaluer la légitimité scientifique des ambitions annoncées par les neurocriminologues, c’est-à-dire de déterminer si leurs résultats garantissent une explication pertinente pour apprécier la dangerosité d’un individu. Il s’agit à la fois de s’interroger sur la possibilité empirique d’une explication neurobiologique du comportement criminel, et de déterminer si l’on peut donner un sens à l’ambition de fonder l’évaluation du risque de récidive sur des critères neurobiologiques.Le premier niveau d’analyse propose une reconstruction historique de la neurocriminologie, depuis les premières études électroencéphalographiques (EEG) démontrant un lien entre la présence d’anomalies cérébrales et la manifestation d’un comportement antisocial. À partir d’une analyse conceptuelle et méthodologique de la littérature publiée depuis le début des années 1940, nous montrons que ce programme de recherche est entièrement structuré autour d’une logique neuro-interventionniste qui vise à promouvoir une stratégie de pathologisation et de médicalisation du criminel. Le principal obstacle épistémologique réside dans le fait que cette logique contraint la construction du modèle explicatif au prix d’une série de pétitions de principe : les finalités poursuivies par les neurocriminologues introduisent un biais systématique dans la construction des modèles expérimentaux et dans l’interprétation des données recueillies chez les criminels. Tout au long du développement de la neurocriminologie, on voit s’opérer la construction anthropologique d’un criminel d’autant plus dangereux que son cerveau est "monstrueux". Ce modèle explicatif vise à fixer les termes d’une dangerosité accessible à une intervention neuroscientifique, en réduisant la figure de l’individu dangereux à un "cerveau à corriger" : un cerveau "défectueux" mais surtout rectifiable, qui encourage l’idée selon laquelle il serait possible de traiter le problème de la criminalité en corrigeant le cerveau des criminels.Le second niveau d’analyse propose de resituer le projet neurocriminologique dans l’histoire de la phrénologie et de l’anthropologie criminelle du XIXe siècle. Si la neurocriminologie s’efforce de défendre le caractère inédit de ses recherches et de dissimuler les stigmates de son long héritage, l’analyse conceptuelle et méthodologique de la littérature montre qu’elle est condamnée à réactualiser des présupposés hérités de l’organologie de Franz-Joseph Gall et de la criminologie positive de Cesare Lombroso. Les thèses de Gall et Lombroso imprègnent toutes les étapes de la construction des études : des stratégies de recherche privilégiées par les neurocriminologues jusqu’aux concepts mobilisés dans l’interprétation des données, en passant par les présupposés qui sous-tendent chacun des choix méthodologiques opérés. Cette analyse permet en particulier de déconstruire le double discours de la neurocriminologie, laquelle se défend de négliger l’influence des facteurs socio-environnementaux dans le développement de la criminalité, tout en cherchant à confirmer un modèle préformationniste admis au préalable. L’interprétation des données recueillies chez les criminels vise à montrer que leur dangerosité s’exprime au travers d’une potentialité préexistante, d’un état cérébral porteur d’une anomalie particulière, et qui détermine toutes les conditions d’émergence du comportement criminel. Il en résulte une démarche parfaitement circulaire, condamnée à produire des biais de confirmation en vue de promouvoir les finalités poursuivies par les chercheurs, sans fournir aucune explication des phénomènes psychologiques étudiés.