Matière et force : étude sur la formation de la théorie de la connaissance d'Ernst Bloch

par Antonina Strano

Projet de thèse en Philosophie


Sous la direction de Pierre Antoine Fabre.

Thèses en préparation à Paris, EHESS , dans le cadre de École doctorale de l'École des hautes études en sciences sociales depuis le 30-10-2017 .


  • Résumé

    Ce travail porte sur la question : Existe-t-il une théorie rigoureuse de la connaissance qui fonde l’ontologie du non-encore d’Ernst Bloch ? Nous soutenons qu’une telle théorie existe et que deux conséquences découlent de cette affirmation : 1. La théorie de la connaissance de Bloch aborde des problèmes gnoséologiques postkantiens dans le but de prouver la légitimité d’une philosophie matérialiste ; 2. Bloch a mêlé son ontologie du non-encore à une théorie processuelle de la connaissance. Afin de prouver les deux premiers points, la recherche se concentre sur les travaux de Bloch antérieurs à sa rencontre avec la pensée de Marx, en particulier avant 1908. Au cours du dernier siècle, l’influence exercée par la pensée de Bloch et les études consacrées à sa philosophie ont suivi principalement trois directions : la marxiste, l’esthétique et la religieuse. Même si la plupart de ces études ont abordé au moins une partie de sa théorie de la connaissance, à savoir la catégorie de possibilité, aucune ne s’est focalisée sur ses sources, sa formation et son développement. Nos recherches explorent les années de formation d’un point de vue biographique et philosophique et montrent la logique fondatrice de l’ontologie et du matérialisme. Quant à la méthode, nous avons, d’un côté, sélectionné les souvenirs de cette période partagés par Bloch dans ses livres ou entretiens ; de l’autre, nous avons rassemblé tout ce qu’il a écrit avant 1908. La plupart des souvenirs et tous les écrits de Bloch sont traduits en français pour la première fois. La thèse est formée de huit chapitres reliés les uns aux autres par un interlude. Chaque interlude présente un souvenir ou un passage significatif au regard de la logique du non-encore. Les interludes sont également de nouvelles traductions françaises. Les deux premiers chapitres visent à établir la manière dont les thèmes philosophiques fondamentaux de Bloch sont nourris par sa jeunesse et par la société allemande des XIXe et XXe siècles. Le premier chapitre, La première formation de l’esprit, étudie le lien entre musique, littérature et jeunesse. Le deuxième chapitre, La recherche du point où les choses ont une égale densité, est une étude socioculturelle de Heimat et introduit les influences de Newton et Schelling. Chaque chapitre du troisième au huitième présente une analyse chronologique des écrits entre 1902 et 1907. Le troisième, Découverte de la philosophie, tente de reconstituer un article perdu depuis le siècle dernier : « Die Kraft und ihre Wesen » (1902). Il montre les influences de l’énergétique de W. Ostwald et de la pensée de Schopenhauer. Le quatrième chapitre, La problématique : matière et connaissance, analyse une lettre envoyée à Ernst Mach (1903). Sous l’influence de Mach, émerge la tentative de redéfinir la différence entre matière et matériau. Le cinquième, Le franc apriorisme, interprète l’essai « Die Sehnsucht als das gewisseste Sein » (1903) et montre l’impact d’Emil Lask sur la double logique analytique et émanatiste de Bloch. Le sixième, Expression et contenu, se concentre sur le premier article publié « Gedanken über religiöse Dinge » (1905), et établit la justification de la primauté ontologique et théorétique de la matière sur l’esprit. Le septième, Une philosophie chronotopique, analyse l’article « Das Problem Nietzsches » (1906), et étudie l’influence de Riemann sur la théorie de la connaissance. Le dernier, Le questionnement en tant que lieu de la méthode, introduit les influences de Fortlage, Sigwart, et Meinong sur la méthodologie et la doctrine processuelle des catégories. Les analyses sont basées sur deux essais de 1907 : « Fragen » et « Was sich Skeptisch nicht abspeisen lässt ». En conclusion, la recherche démontre que la théorie de la connaissance et l’ontologie de Bloch ont été développées indépendamment de sa pensée politique, et que l’une et l’autre peuvent être réactualisées dans les débats contemporains consacrés au matérialisme et à la philosophie de l’esprit.

  • Titre traduit

    Matter and Force. A Study on the formation of Ernst Bloch's Theory of Knowledge


  • Résumé

    The present work addresses the question: does Ernst Bloch’s ontology of the not-yet rest on a sound theory of knowledge? I answer this question in the positive and argue that two consequences follow from this. First, Bloch’s theory of knowledge engages with post-Kantian epistemological questions in order to prove the legitimacy of a materialistic philosophy. Second, Bloch’s ontology of the not-yet intertwines with a process theory of knowledge. In order to prove this, my research focuses on Bloch’s work predating his encounter with Marx’s thinking, specifically on the period 1902-1908. In the last century, Bloch scholarship pursued mainly three interpretive lines: the Marxist, the aesthetic, and the religious. Most studies have focused on one aspect of Bloch’s theory of knowledge, namely the layers of the category possibility. However, none have focused on its sources, formation, and development. My research explores Bloch’s formative years from a biographical-philosophical point of view by investigating the logic underlying the ontology of the not-yet as well as its role in Bloch’s justification of materialism. Methodologically speaking, my research takes into consideration Bloch’s recollections from this period as he shared them in his books and interviews, along with all the articles, letters, and essays authored by Bloch before 1908. Most of Bloch’s autobiographical passages and all of his written works appear here in French translation for the first time. The thesis consists of eight chapters and seven interludes linking each chapter to the next. Each interlude presents a memory or a significant passage concerning the logic of the not-yet. The first two chapters aim to establish a connection between Bloch’s key philosophical interests and the context of German society between the 19th and the 20th century. The first chapter, The early formation of the mind, investigates how music and literature became centre-stage in Bloch’s thought. The second chapter, The search for the point where things have the same density, is a socio-cultural study of the idea of Heimat. It also examines Newton’s and Schelling’s influence on Bloch. Chapters three to eight analyse Bloch’s work from 1902 to 1907. The third chapter, The discovery of philosophy, attempts to reconstruct the content of “Die Kraft und ihre Wesen,” a lost article written by Bloch in 1902. In doing so, this chapter attempts to shed light on the influence of W. Ostwald’s energetics and Schopenhauer’s philosophy on Bloch’s early thought. The fourth chapter, Problematics: matter and knowledge, focuses on a letter Bloch wrote to Ernst Mach in 1903. Mach’s influence on Bloch can be seen in Bloch’s attempt to redefine the difference between matter and material. The fifth chapter, Manifest apriorism, is a reading of Bloch’s essay “Die Sehnsucht als das gewisseste Sein” (1903) in light of the distinction between a “conceptual” and an “analytical” logic, which Bloch borrowed from E. Lask and W. James. The sixth chapter, Expression and content, focuses on Bloch’s first published article, “Gedanken über religiöse Dinge” (1905), in which Bloch argues for the ontological and theoretical primacy of matter over mind. The seventh chapter, A chrono-topic philosophy, considers Bloch’s article “Über das Problem Nietzsches” (1906) and discusses Riemann’s influence on Bloch’s idea of possible knowledge and axiology. The final chapter, Questioning as a methodology, introduces the influence of Fortlage, Sigwart and Meinong on Bloch’s methodology and process theory of categories. This chapter is based on two essays from 1907: “Fragen” and “Was sich keptisch nicht abspeisen lässt”. Overall, the present research seeks to cast new light on the sources of Bloch’s early thought. By showing how Bloch’s theory of knowledge and ontology developed quite independently of his political philosophy, I aim at highlighting their relevance for contemporary debates on materialism and the philosophy of mind.