Projet de thèse en Philosophie, epistemologie
Sous la direction de Kim-sang Ong van cung.
Thèses en préparation à Bordeaux 3 , dans le cadre de Montaigne-Humanités , en partenariat avec Sciences, Philosophie, Humanités (equipe de recherche) depuis le 12-07-2017 .
La philosophie de Deleuze est une philosophie pratique, critique et éthique. Elle n'est pas séparable d'une entreprise de libération vis-à-vis de tout ce qui nous sépare de ce que nous pouvons, et d'un geste de résistance contre tous les types d'ordre susceptibles de réprimer nos puissances de penser, d'expérimenter, d'agir ou de désirer. Ainsi, lorsque nous sommes « sédentairement » distribués dans l'être, dans l'expérience, dans le langage, dans l'espace social ou dans le sensible, nos puissances sont séparées de ce qu'elles peuvent par des limitations négatives, et aliénées des conditions sous lesquelles seulement elles peuvent s'étendre et se développer ; à l'inverse, lorsque nous nous redistribuons « nomadement » contre ces partages répressifs et aliénants, et que nous franchissons les limites qui nous restreignent, nos puissances peuvent s'accroître, s'intensifier, et tendre vers un maximum positif. Dans sa première philosophie, Deleuze a formulé cette exigence critique en redéfinissant le sens et les objectifs de l'analyse transcendantale de l'expérience. Sa proposition théorique principale consiste à distinguer deux sens distincts et hiérarchisés de l'expérience (la récognition des objets et la rencontre des signes), et à opposer, corrélativement, deux exercices inégaux de la pensée (la pensée représentative et la pensée créatrice). « L'empirisme transcendantal » se présente ainsi comme un remaniement de la théorie kantienne des facultés, c'est-à-dire comme une nouvelle philosophie pratique de l'apprentissage. Or, le paradoxe est que pour réaliser cette analyse nouvelle des structures de l'expérience, appuyée sur une métaphysique du devenir anti-substantialiste, et sur le projet d'une destruction de l'image « rationaliste » traditionnelle de la pensée, Deleuze extrait, détourne et réutilise plusieurs concepts issus des philosophies substantialistes et rationalistes de Spinoza et de Leibniz – et prend ainsi à rebours la tradition historiographique, en décidant de lire ces deux philosophes conjointement, à partir du concept d'expression, plutôt que de les opposer comme irréconciliables, en raison de la radicale incompatibilité supposée de leurs orientations philosophiques respectives. La « logique de l'expression » spinozo-leibnizienne apparaît alors comme l'envers historique de la « logique de la différent/ciation » deleuzienne, comme l'alternative la plus forte à la « logique dialectique » hégélienne, et comme le double philosophique, simultanément spéculatif et pratique, sans lequel Deleuze n'aurait pas pu réaliser son système, ni développer son problème le plus profond : faire de la pensée philosophique un acte de libération critique vis-à-vis de tout ce qui nous sépare de nos puissances, et égaler ainsi le « penser » à « l'agir ».
Difference and expression. Deleuze reading Spinoza and Leibniz
Deleuze's philosophy is a practical, critical and ethical philosophy. It is not separable from an enterprise of liberation from all that separates us from what we can, and from a gesture of resistance against all types of order likely to repress our powers to think, to experience, to act or to desire. Thus, when we are "sedentarily" distributed in the being, in the experience, in the language, in the social space or in the sensible, our powers are separated from what they can by negative limitations, and alienated from the conditions under which only they can extend and develop; conversely, when we redistribute ourselves "nomadically" against these repressive and alienating divisions, and that we cross the limits that restrict us, our powers can increase, intensify, and tend towards a positive maximum. In his first philosophy, Deleuze formulated this critical demand by redefining the meaning and objectives of the transcendental analysis of experience. His main theoretical proposal consists in distinguishing two distinct and hierarchical senses of experience (the recognition of objects and the encounter of signs), and in opposing, correlatively, two unequal exercises of thought (representative thought and creative thought). "Transcendental empiricism" is thus presented as a reworking of the Kantian theory of faculties, that is to say as a new practical philosophy of learning. The paradox is that in order to realize this new analysis of the structures of experience, based on an anti-substantialist metaphysics of becoming, and on the project of a destruction of the traditional "rationalist" image of thought, Deleuze extracts, diverts and reuses several concepts coming from the substantialist and rationalist philosophies of Spinoza and Leibniz - and thus takes the historiographic tradition in reverse, by deciding to read these two philosophers jointly, starting from the concept of expression, rather than opposing them as irreconcilable, because of the supposed radical incompatibility of their respective philosophical orientations. The Spinozo-Leibnizian "logic of expression" appears then as the historical reverse of the Deleuzian "logic of difference/ciation", as the strongest alternative to the Hegelian "dialectical logic", and as the philosophical double, simultaneously speculative and practical, without which Deleuze would not have been able to realize his system, nor to develop his deepest problem: to make philosophical thought an act of critical liberation from all that separates us from our powers, and thus to equalize "thinking" with "acting."