Thèse de doctorat en Sciences de gestion
Sous la direction de Sylvain Bourjade.
Thèses en préparation à Toulouse 1 , dans le cadre de École Doctorale Sciences de Gestion TSM (Toulouse) , en partenariat avec TBS Research Centre (Toulouse) (laboratoire) depuis le 01-10-2016 .
Dans cette thèse à l’interstice entre finance d’entreprise et économie du travail, j’interroge l’effet des pratiques financières sur le processus de production de l’entreprise et plus précisément sur la main-d’œuvre, partie prenante souvent oubliée et pourtant centrale à l’entreprise. Les pratiques financières étudiées se concentrent autour des modifications stratégiques de la structure du capital de l’entreprise, à savoir sa dette d’un côté et sa structure actionnariale de l’autre. La question générale et transversale aux trois articles qui composent ce travail de recherche étant la suivante : jusqu’où la politique sociale de l’entreprise peut-elle expliquer ses décisions financières, notamment celles relatives à la structure du capital ? Trois articles empiriques, initiés par un chapitre introductif, visent à répondre à cette question. Le chapitre introductif, qui vise à exposer le socle théorique mobilisé par la suite dans les trois études empiriques, s’appuie sur une double marche théorique, entre gestion instrumentale des parties prenantes et théorie de l’opportunisme managérial. Quels intérêts l’entreprise a-t-elle à modifier la structure de sa dette ? Peut-on repérer un intérêt social et salarial derrière les pratiques d’endettement ? La réponse à cette question constitue l’objet d’une première étude empirique internationale et longitudinale. Au travers d’un panel international (20 pays de l’OCDE, 1186 entreprises sur la période 1998-2016), je montre que l’entreprise s’endette stratégiquement lorsqu’elle fait face à une main-d’œuvre organisée et combative afin de retirer ses liquidités de la table des négociations. Je démontre aussi que cet endettement stratégique n’est valable que jusqu’à un certain niveau de combativité, au-delà duquel l’endettement devient trop coûteux. Je prouve enfin que cet endettement stratégique s’opère principalement via de la dette opérationnelle et que la capacité de l’entreprise à trouver des alternatives durables et à plus forte valeur ajoutée (comme la substitution capital-travail) tendent à modérer le recours à une telle pratique. Dans un second article, je m’intéresse à l’autre versant du passif au bilan comptable de l’entreprise : ses capitaux propres ou plus précisément sa structure actionnariale. À l’aide d’un large panel européen (2070 entreprises cotées issues de 20 pays sur la période 2009-2019), j’interroge les pratiques des actionnaires-dirigeants en matière d’ajustements des coûts de production. Je montre notamment que l’ajustement de la part travail par les actionnaires-dirigeants suit une relation polynomiale du troisième degré. Si pour des seuils de détention faibles et très élevés, les actionnaires-dirigeants tendent à augmenter le salaire moyen, à l’inverse, pour des niveaux intermédiaires et élevés, les directeurs actionnaires tendent à le faire baisser. J’explique cette non-linéarité par un triple effet, à la fois par l’effet disciplinaire externe (du marché), disciplinaire interne (des co-actionnaires) et par les incitations mouvantes des directeurs actionnaires, elles-mêmes fonction de leur part de détention de capital. J'interroge ensuite plus finement les mécanismes de discipline interne initiés par les co-actionnaires différenciés par type (Institutionnels, publics, familiaux). D’un côté, les actionnaires institutionnels tendent à modérer les comportements haussiers comme baissiers des dirigeants- actionnaires vis-à-vis des salaires. Les actionnaires publics, pour leur part, semblent accentuer l’effet positif et diminuer l’effet négatif des actionnaires dirigeants sur les salaires. De manière plus surprenante, en revanche, les actionnaires familiaux tendent à protéger la part travail des comportement managériaux agressifs, mais tendent aussi à fortement limiter tout accroissement salarial. Ce dernier résultat est-il l’émanation d’une stratégie ou alliance particulière entre deux parties prenantes internes à l’entreprise, à savoir entre directeurs et familles ? Le dernier article vise à répondre à cette question en interrogeant la particularité de la politique sociale des entreprises familiales (96 entreprises cotées françaises, allemandes, italiennes et japonaises sur la période 2010-2016) de et son effet sur la performance. Les résultats de cette troisième étude attestent d’un caractère hautement déterminant de la performance sociale vis-à-vis de la performance financière des entreprises, lorsque considérées comme familiales. Plus précisément, les entreprises familiales semblent en moyenne plus actives que les entreprises non familiales dans l’ajustement de leur stratégie sociale et en retour plus performantes. J’explique cette meilleure adaptabilité par l’avantage comparatif de ces entreprises familiales qui bénéficient de facto d’une réputation socialement plus responsable. Le degré d’ajustement de la politique sociale intra-entreprise et les effets financiers qui en découlent, n’apparaissent en revanche pas homogènes selon le pays considéré et doivent être évalués en rétrospective de la performance sociale à l’échelle nationale. Dans leur ensemble, ces trois études empiriques confirment les hypothèses initialement proposées : la politique sociale de l’entreprise relève bien souvent d’une stratégie managériale et discrétisée, notamment lorsqu’on s’intéresse aux modifications de la structure du capital. Cette stratégie managériale doit donc être comprise comme instrumentale en ce qu’elle vise une meilleure performance financière de l’entreprise, mais aussi opportuniste en ce qu’elle est elle-même fonction des incitations personnelles des managers.
In this PhD thesis at the intersection between corporate finance and labor economics, I discuss the effect of financial decisions on the production process of the firm and more precisely on the workforce, an often-forgotten stakeholder, yet central to the firm. These financial decisions focus on strategic modifications of the capital structure of the firm, namely its debt on the one hand and its shareholder structure on the other. The general and transversal question of the three articles that make up this research thesis is the following: to what extent can the company’s social policy explain its financial decisions, particularly those relating to the capital structure? Three empirical articles, initiated by an introductory chapter, aim to answer this question. The introductory chapter, which aims to set out the theoretical basis subsequently mobilized in the three empirical studies, is based on a double theoretical pillar, between the stakeholders’ instrumental management and managerial opportunism theory. What are the firm’s incentives in modifying its debt structure? Can we identify a social and wage interest behind debt practices? I answer this question in a first international and longitudinal empirical study. Through an international panel (20 OECD countries, 1186 firms over the period 1998–2016), I show that a firm goes into strategic debt when it faces an organized and combative workforce in order to take its cash off the bargaining table. I also show that this strategic indebtedness is valid only up to a certain level of combativeness, beyond which indebtedness becomes too costly. Finally, I show that this strategic debt is mainly carried out through operational debt and that a firm’s ability to find sustainable and higher value-added alternatives (such as capital-labor substitution) tends to moderate the use of such a practice. In a second article, I focus on the second aspect of the liability side of the firm’s balance sheet: its equity, or more precisely its shareholder structure. Using a large European panel (2070 listed firms from 20 countries over the period 2009–2019), I examine the practices of shareholder-managers in terms of production cost adjustments. Specifically, I show that the adjustment of the labor share by shareholder-managers follows a third-degree polynomial relationship. For low and very high ownership levels, shareholder-managers tend to increase the average wage, while, for intermediate and high levels, shareholder-managers tend to decrease it. I explain this non-linearity by a triple effect: the external disciplinary effect (of the market), the internal disciplinary effect (of the co-shareholders) and the moving incentives of the shareholder-managers that are themselves a function of their share of capital ownership. I then examine in more details the internal discipline mechanisms initiated by the co-shareholders, differentiated by type (institutional, state, family). On the one hand, institutional shareholders tend to moderate the upward and downward behavior of shareholder-managers with respect to employees’ compensation. State shareholders, on the other hand, seem to accentuate the positive effect and decrease the negative effect of shareholder managers on wages. On the other hand, and more surprisingly, family shareholders tend to protect the wage share from aggressive managerial behavior, but also tend to strongly limit shareholder- managers to increase employees’ compensation. Is this last result the result of a specific strategy or alliance between two internal stakeholders of the company, namely between managers and families? The last article aims to answer this question by investigating the specificity of the social policy of family businesses and its effect on performance. The results of this third study suggest that the social performance of family firms is highly determinant of their financial performance. More precisely, family firms seem, on average, more active than non-family firms in adjusting their social strategy and in return to perform better. I explain this better adaptability by the comparative advantage of these family firms, which benefit de facto from a more socially responsible reputation. The degree of adjustment of the intra-firm social policy and the resulting financial effects, on the other hand, do not appear homogeneous among countries and must be evaluated in retrospect of the social performance at the national level. Taken together, these three empirical studies confirm the initial hypotheses: corporate social policy is often assimilated to a managerial and discretized strategy, particularly when changes in the capital structure are considered. This managerial strategy must therefore be understood as instrumental in that it aims to improve the financial performance of the firm, but also opportunistic in that appears itself a function of the managers’ incentives.