Thèse soutenue

Réflexivités numériques : les effets réciproques des "événements publics internet" et les pratiques médiatiques en Chine contemporaine (2007-2018)
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Auteur / Autrice : Wenting Wang
Direction : Isabelle ThireauCyril Lemieux
Type : Thèse de doctorat
Discipline(s) : Sociologie
Date : Soutenance le 31/05/2023
Etablissement(s) : Paris, EHESS
Ecole(s) doctorale(s) : École doctorale de l'École des hautes études en sciences sociales
Jury : Président / Présidente : Yannick Barthe
Examinateurs / Examinatrices : Yannick Barthe, Sylvain Parasie, Dominique Pasquier, Barbara Mittler
Rapporteurs / Rapporteuses : Sylvain Parasie, Dominique Pasquier

Résumé

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En Chine, l'année 2007 n'était pas encore achevée que des internautes la baptisaient déjà « l’année zéro des événements publics Internet ». L’apparition et l’usage répandu d’un nouveau terme en chinois « événement public Internet 网络公共事件 wǎng luò gōng gòng shì jiàn » (désormais EPI) traduisent la prise de conscience d’un nouveau phénomène, par les acteurs eux-mêmes, de l’irruption d’événements faisant l’objet d’interprétations conflictuelles et massivement discutés sur Internet au sens strict géographique des quatre coins du pays. Au cours de la décennie suivante, une nouvelle division du travail médiatique, marquée par l’émergence des selfmedias individuels animés par un public profane comme par des experts relevant de domaines variés, s’articule avec l’évolution des EPI, sous l’effet conjugué du perfectionnement des technologies numériques et des processus d’apprentissage collectif concernant les échanges publics en ligne. Ces deux évolutions concomitantes contenaient une tension paradoxale, sous forme de l’interdépendance et du découplage simultanément croissants, entre d’un côté le public profane et les experts et, de l’autre, les professionnels des médias commerciaux-métropolitains jusqu’alors qualifiés, dans la division du travail médiatique, à la fois de « combattants » de la démocratisation et de « métiers de superprofits ». La première ambition de cette thèse est de restituer la dynamique qui a présidé à l’apparition, puis aux évolutions des EPI, en prenant appui sur l’étude de trois cas qui ont eu lieu entre 2007 et 2018 et qui nous servent à la foi d’approche méthodologique et d’objet d’analyse en soi. Les trois EPI ont en commun d’avoir eu pour point de départ le renversement du jugement normatif porté sur un personnage exemplaire. Nous les comparons selon quatre dimensions : 1) la forme prise par la politisation du dissensus, 2) le degré auquel la mobilisation suscitée est trans-territoriale et intersectorielle, 3) l’accroissement des réflexivités collectives qu’elle produit ; et 4) l’empowerment numérique dont bénéficient le public profane et les experts. L’enquête fait notamment apparaître que les EPI révèlent au fil des ans une réflexivité collective croissante concernant les modalités de leur survenue et de leur amplification. Ce constat est au fondement de la deuxième ambition de cette thèse : comprendre ce qui a limité, et même parfois entravé, chez les professionnels médiatiques les capacités à produire une réflexivité plus ample sur leurs pratiques. Nous nous concentrons, pour ce faire, sur les deux sphères professionnelles qui ont joué un rôle organisationnel et constructif dans les trois EPI étudiés : celle du journalisme écrit, et celle des vidéastes et des documentaristes. En identifiant les normes sociales et les règles professionnelles que leurs membres défendent, et en décrivant les sanctions positives et négatives dont ils font l’expérience dans leurs interactions tant avec les internautes profanes qu’avec les experts des secteurs concernés et les représentants du pouvoir politique, nous cherchons à comprendre le degré d’autonomie relative qu’ils revendiquent pour eux-mêmes ou consentent à accorder aux autres groupes sociaux. Cela, à travers des tâtonnements qui les conduisent à éprouver les contraintes inhérentes à l’état actuel de la division du travail social. Finalement, nous défendons l’idée selon laquelle si la « collégialité » des EPI et la multipolarisation des pratiques médiatiques sont en train de se réaliser en Chine aujourd’hui, la nouvelle division du travail médiatique n’est pas initiée ni promue par des professionnels médiatiques qui se réforment volontairement et renoncent à leur pouvoir de monopole et superprofit. Les acteurs décisifs sont composés par le public des profanes et des experts, numériquement habilité, ouvert aux dissensus, faisant usage de la raison, autoorganisé, autogouverné et surtout transterritorial et intersectoriel.