Thèse en cours

L'Eros, l'Agapê chez Lacan et Levinas

FR
Auteur / Autrice : Marine Volle-frontera
Direction : Bertrand Ogilvie
Type : Projet de thèse
Discipline(s) : Philosophie, epistemologie
Date : Inscription en doctorat le 25/11/2013
Etablissement(s) : Paris 8
Ecole(s) doctorale(s) : ED Pratiques et théories du sens
Partenaire(s) de recherche : Equipe de recherche : Laboratoires d'études et de recherches sur les logiques contemporaines de la philosophie

Mots clés

FR

Résumé

FR

« Je ne suis pas freudien, par conséquent je ne pense pas qu’Agapê sorte de l’Eros », déclare Lévinas en 1982 dans Entre nous . L’amour du prochain n’aurait pas la même origine que le désir amoureux et serait sans commune mesure avec lui. Pour penser cette distinction entre ces deux sortes d’amour, le recours à la langue grecque est nécessaire puisque le français et l’hébreu disposent d’un seul terme, respectivement « amour » et « ahava », pour désigner deux réalités qui sont bien distinctes pour ce non freudien qu’est Lévinas. Pour Freud en effet, les langues française et hébraïque, pour n’en citer que deux, auraient créé « avec le mot « amour » dans ses multiples acceptions, une synthèse parfaitement justifiée » . Les pulsions amoureuses ou sexuelles – qu’il est souhaitable d’appeler du nom « plus distingué » d’« Eros » afin de ne pas choquer les puritains –, ces pulsions à l’œuvre dans « l’amour entre les sexes avec pour but l’union sexuelle » se retrouvent comme l’enseigne la recherche psychanalytique, dans l’amour de soi, l’amour parental et filial, dans l’amitié et même dans l’amour célébré par l’apôtre Paul dans La Première Epître aux Corinthiens. Sans être ironique, cette mention a une dimension provocatrice car alors même qu’au chapitre XIII de ce texte Paul fait l’éloge de la charité comme étant « la plus excellente des trois vertus » théologales, il témoigne tout au long du chapitre VI d’une méfiance certaine à l’égard de l’Eros : « Pour ce qui regarde les choses dont vous m’avez écrit, je vous dirai qu’il est avantageux à l’homme de ne toucher aucune femme ». Lacan emprunte le chemin ouvert par Freud tout en radicalisant son propos : en effet, si dans le livre XX du Séminaire, Lacan prend au sérieux l’expérience d’extase vécue par certaines mystiques , il semble sans cesse y railler l’amour du prochain. Pourtant, une dizaine d’années plus tôt, en 1960-61, Lacan clôt son cours consacré au transfert sur une certaine évocation de l’Agapê. Dans ce qui donnera lieu au livre VIII du Séminaire, Lacan s’emploie à commenter Le Banquet de Platon pour penser la relation transférentielle car à n’en pas douter, le transfert a quelque chose à voir avec une histoire d’amour. Comparant le désir de l’analysant à celui d’Alcibiade, Lacan en vient à formuler une nouvelle pensée au sujet de l’Eros et comparant le désir de l’analyste à celui de Socrate, il conclut que Socrate est celui qui, pour Alcibiade, court le risque « de disparaître ». Quelques lignes plus haut, il suggère que l’on aimerait traduire cette posture par le « tu aimeras ton prochain comme toi-même" mais cela ne serait probablement pas chrétien ». L’amour du prochain est-il pensable dans le cadre de la pensée lacanienne ? Si cela ne l’est pas dans sa version chrétienne, la charité pensée comme "responsabilité pour l’autre » sous la plume de Lévinas, cet amour désintéressé où le prochain passe avant tout et avant soi, le serait-elle davantage ? L’éthique du désir qu’expose Lévinas au début de Totalité et infini est une éthique de l’Agapê qui semble de prime abord bien éloignée de l’éthique du désir pensée par Lacan au livre VII du Séminaire. Pourtant, l’essentiel des analyses qu’ils déploient au sujet de l’Eros s’apparentent et paraissent pouvoir dialoguer de manière féconde. Est-ce véritablement le cas ? Comment les analyses de ces deux penseurs pourraient-elles se recouper sur le statut de l’Eros et ne pas s’entendre sur la question de l’Agapê ? Un amour désintéressé comme la charité est-il possible ou bien faut-il dire avec Nietzsche que « Votre amour du prochain, c’est votre mauvais amour de vous-même » ? Par ailleurs, pourquoi l’Eros serait-il nécessairement intéressé au point que ce proche qu’est l’être aimé ne serait jamais, à lire Lévinas, le prochain ?