Thèse soutenue

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Auteur / Autrice : Zina Skandrani
Direction : Anne-Caroline Prévot-Julliard
Type : Thèse de doctorat
Discipline(s) : Écologie
Date : Soutenance en 2014
Etablissement(s) : Paris, Muséum national d'histoire naturelle
Ecole(s) doctorale(s) : École doctorale Sciences de la nature et de l'Homme - Évolution et écologie (Paris)
Jury : Président / Présidente : Denis Couvet
Examinateurs / Examinatrices : Frédérique Chlous-Ducharme, Salman Qureshi
Rapporteurs / Rapporteuses : Nathalie Frascaria Lacoste, Paul Draus

Résumé

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Cette thèse de doctorat propose des réflexions théoriques sur la gestion de conflits autour de la conservation et de la gouvernance de la biodiversité dans des lieux jusque récemment exclusivement pensés pour les humains. L’objectif général de mon travail a été de souligner dans quelle mesure les représentations de la nature peuvent entraver des efforts de conservation et à travers quels processus socio-écologiques ces dernières sont établies. Plus précisément, j’ai étudié les interactions réciproques entre représentations sociales de la biodiversité et dynamiques socio-écologiques, ou comment certaines conceptions sur la biodiversité sont activement produites et véhiculées par des dynamiques d’interactions entre les composantes humaines et non-humaines de la nature. De plus, j’ai montré dans quelle mesure ces conceptions peuvent être à l’origine de réticences sur des sujets environnementaux, en particulier quand de nouvelles conceptions impliquent des redéfinitions de l’espace et des relations humains-biodiversité-environnement. Ces réflexions théoriques s’appuient sur des travaux empiriques de recherche en milieu urbain. Ici, j’ai considéré les écosystèmes urbains comme des socio-écosystèmes composés de dynamiques sociales, politiques/institutionnelles et écologiques interconnectées. En cela, ces études s’inspirent de cadres d’analyse des systèmes socio-écologiques (Ostrom 2009), de la théorie de la résilience (Folke 2006), de la théorie de l’acteur-réseau (Latour 1994) et de la théorie des représentations sociales (Moscovici 2000). Excepté pour un cas, les recherches menées prennent les pigeons urbains (Columba livia) comme modèle d’analyse. Le pigeon urbain a en effet ceci de particulier qu’il n’a jamais existé ‘à l’état sauvage’ et a toujours eu son habitat ‘naturel’ parmi les humains (Johnston et Janiga 1995). En tant qu’animaux domestiqués, les pigeons ont été dotés de valeurs symboliques (d’amour, paix et fertilité) sur la base de leurs caractéristiques visibles (et désirées) (Jerolmack 2008). Alors qu’ils ont été « créés » par les humains pour un usage domestique, ils se sont ensuite échappés puis ré-ensauvagés (ou ‘féralisés’), et constituent ainsi ce qui pourrait être appelé un ‘hybride’ (sensu Latour), un produit de la nature et de la société, et même un double hybride (Jerolmack 2007). L’espèce est ainsi particulièrement intéressante dans ce travail, puisqu’il ne s’agit pas ‘juste’ d’un objet naturel mais d’un bon exemple à travers lequel la production socio-écologique de sens peut être étudiée. Le travail de thèse est présenté sous la forme de 5 articles ou manuscrits, suivant le cheminement suivant :1. La présence de la biodiversité en ville précède et conditionne sa problématisation ; elle constitue en cela un élément central à partir duquel les représentations de la biodiversité vont ensuite se développer. Cette présence n’est cependant pas fortuite. Ainsi, dans le premier article intitulé « Tolérance environnementale chez les oiseaux urbains : adaptation synanthropique ou plasticité phénotypique?», mes collègues et moi soulignons dans une perspective écologique, la « agency » des pigeons dans leur installation dans les espaces anthropiques. En étudiant la tolérance environnementale des pigeons, nous démontrons que ceux-ci tirent avantage de leurs propres caractéristiques au même degré que des particularités urbaines pour persister dans les villes. 2. Dans l’article « Espèces nuisibles : par-delà de la perspective écologique », nous utilisons le concept d’ « espèces nuisibles » et les changements dans les images des pigeons pour démontrer que les représentations de la nature et de la biodiversité sont produites par des processus historiques et d’interactions inter-espèces, avec de multiples facteurs d’influence, d’« agencies » et d’enjeux. Nous montrons en outre comment l’évolution de ces conceptions ou « socio-natures » (Swyngedouw 2004) sont au coeur de conflits contemporains au sujet des pigeons urbains dans de nombreuses métropoles. 3. Dans l’article « Ancrer le ‘paradoxe du pigeon’ : médiation des interactions avec la biodiversité ordinaire par le contexte public», nous illustrons ensuite, à travers une étude comportementale, les oppositions entre d’une part les encouragements officiels croissants pour une reconnexion avec la nature afin de renforcer la conscience environnementale, et d’autre part l’influence restrictive du contexte social normatif sur les interactions entre les humains et la nature urbaine au quotidien. 4. Dans l’article « Verdir la ville et ensuite ? Orientations similaires mais politiques publiques divergentes dans deux capitales européennes » nous nous détachons de l’exemple des pigeons urbains pour mettre en évidence, par une comparaison entre Paris et Berlin, comment différents discours institutionnels peuvent façonner les représentations de la nature : encouragement explicite de la restauration de la nature ou définition implicite des relations humains-nature à travers l’aménagement et la gestion des parcs urbains. Nous suggérons que des discours explicites et implicites contradictoires peuvent bloquer l’acceptation sociale de mesures institutionnelles de conservation en milieu urbain. 5. Enfin, dans l’article de conclusion « Modélisation d’un système socio-écologique urbain : vers une coexistence des citadins et des pigeons en ville », nous posons la question de la gestion et du contrôle des pigeons urbains et fournissons un exemple concret de médiation et de gouvernance intégrative dans un conflit social autour de la biodiversité urbaine, construit à partir des perceptions sur les pigeons et des facteurs d’influence sociaux et écologiques.