Thèse soutenue

Les techniques du corps à la lumière des arts martiaux chinois : le processus de naturalisation de la technique

FR  |  
EN
Auteur / Autrice : Alexandre Legendre
Direction : Bernard AndrieuBertrand During
Type : Thèse de doctorat
Discipline(s) : Sciences du sport
Date : Soutenance le 29/11/2017
Etablissement(s) : Sorbonne Paris Cité
Ecole(s) doctorale(s) : École doctorale Sciences du sport, de la motricité et du mouvement humain (Orsay, Essonne ; 2015-....)
Partenaire(s) de recherche : Laboratoire : Techniques et enjeux du corps - EA 3625
établissement de préparation : Université Paris Descartes (1970-2019)
Jury : Président / Présidente : Christian Vivier
Examinateurs / Examinatrices : Christian Vivier, Yolaine Escande, Tony Froissart
Rapporteurs / Rapporteuses : Yolaine Escande, Nathalie Gauthard

Mots clés

FR  |  
EN

Résumé

FR  |  
EN

Les pratiques martiales chinoises, en dépit d’une riche histoire et d’une expertise technique peu contestée, n’ont suscité d’intérêt académique que limité, du moins jusqu’au début du XXIe siècle. Comment expliquer un tel vide théorique ? Un faisceau de raisons y a participé : une définition problématique de l’objet art martial en général, un remodelage continu des contenus et significations des arts martiaux chinois au fil des âges, un manque de lisibilité dans l’organisation des pratiques contemporaines, une incommensurabilité supposée de l’Occident avec la culture chinoise qui occasionne des resémantisations réductrices, etc. Autant de causes extrinsèques qui, si elles permettent effectivement d’expliquer une partie de leur opacité, en négligent les facteurs les plus décisifs, liés à leur logique interne : d’abord, en tant qu’art de la survie, les arts martiaux chinois sont traversés par une double finalité, l’expertise martiale (jiji, 技擊) et le développement de la santé (yang-sheng, 養生). Cette polysémie initiale, qui a occasionné une large diversification des techniques, rend l’ensemble de l’ouvrage difficilement abordable. Ensuite, au-delà des divergences de styles, ils partagent un même parti pris d’efficacité, une logique de la transformation inspirée des différents modèles cosmologiques chinois, qui amène les techniques à privilégier le mobile, le labile, et l’évanescent. En découlent des difficultés d’appropriation des techniques, d’assimilation des méthodes de travail, et de compréhension des enjeux stratégiques. Enfin, les arts martiaux chinois se caractérisent par des conditions de performance qui apparaissent comme non objectivables, non quantifiables, même insondables : le raffinement et la subtilité qui sont volontiers reconnus aux arts gestuels asiatiques en général correspondent à un état avancé de développement des techniques, dans un contexte culturel propice à une telle évolution. Les rapports plus dialectiques qu’agonistiques qu’y entretiennent nature et culture, corps et esprit au sein de ces techniques, leur ont en effet permis de déployer un « naturel » (ziran, 自然), érigé en critère ultime de performance. Naturel qui impose d’abdiquer contrôle et conscience réflexive – autrement dit, de s’en remettre à un déterminisme souterrain et insaisissable (faisant écho au concept de wuwei, 無為, laisser agir). En somme, en deçà des raisons circonstancielles qui expliquent certaines des difficultés d’appréhension dont les arts martiaux chinois font l’objet, résident des résistances d’une nature plus profonde, renvoyant à une caractéristique intrinsèque de la technique : plus elle se développe, plus elle s’émancipe de l’emprise de la conscience, partant, se « naturalise ». Pour le démontrer, cette étude procède en trois temps : une première partie, épistémologique, recense les difficultés rencontrées par les arts martiaux chinois à faire reconnaître leur dignité scientifique, en tentant de déterminer à quelles conditions une épistémologie de ces pratiques devient possible. Une deuxième partie s’applique à décrire et expliciter leur fonctionnement, à partir de divers outils : observation participante en France, en Chine, à Taïwan, au Japon ; deux terrains d’observation non-participante à Taïwan ; des entretiens semi-directifs ; l’analyse de manuels pédagogiques et de pratique. Enfin, une troisième partie, anthropologique et philosophique, propose, à partir des données recueillies, une discussion sur les rapports entre technique, nature et culture. D’abord en précisant le tribut de la culture chinoise à la modélisation des arts martiaux chinois : une logique externe prend essentiellement la forme d’un déterminisme moteur inconscient. Ensuite, en révélant l’émergence d’une culture propre aux arts martiaux : culture centrée sur la notion de styles (menpai, 門牌 et quanfa, 拳法), à la recherche d’une efficience naturelle. (...)