Thèse en cours

Nomadisme et nouvelle représentation artistique ? La question de la géopoétique du monde chez les artistes Land Art.

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Auteur / Autrice : Hassene Hamaoui
Direction : Roberto Barbanti
Type : Projet de thèse
Discipline(s) : Esthétique des nouveaux médias ,spécialité arts plastiques et photographie.
Date : Inscription en doctorat le 11/12/2012
Etablissement(s) : Paris 8
Ecole(s) doctorale(s) : ED Esthetique, sciences et technologie des Arts
Partenaire(s) de recherche : Laboratoire : Université de Paris VIII. Laboratoire Arts des images et art contemporain. EPHA

Résumé

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Tout au long de l'histoire d'une civilisation, il est rare qu'une phase de l’évolution d'une croyance, d'une langue, d'une technique ou d'un courant artistique ait pu être totalement isolée dans les limites restreintes des seules frontières géographiques d'un pays ou d'une culture. Même lors des périodes historiques fortement liées à certains centres de création, les voyages des hommes, et les confrontations culturelles ont tenu un rôle important aussi bien les capacités de diffusion des connaissances que dans les échanges artistiques des œuvres d'art. C'est en occident et dans le cas précis de l'histoire de la méditerranéenne qui est devenue progressivement héritière du flux incessant de migrations et d’exodes de conquêtes, de rencontres et de métissages. Il suffit de songer aux péripéties de la civilisation Grèce antique qui transmet son legs oriental à l'Italie et aux mondes arabes, puis à l'Espagne et plus tardivement à l'Europe; d’évoquer le nom des grandes villes comme Constantinople, Byzance, Carthage, Alexandrie qui ont vu se succéder des peuples et des cultures d'horizons différents, de décrire les réalités sociales et politiques des pays de l'Europe de l'Est, du Moyen-Orient, ou de l'Afrique du sud aux prises avec des problèmes de multiculturalisme et de pouvoirs géographiques. C'est ainsi que la question du territoire fait partie de l'histoire de notre monde contemporain et certaines expériences douloureuses de l'espace nous font comprendre que le processus au travers duquel, les centres et les périphéries qui s'opposent et tentent parfois aussi de s'entremêler constituent des zones de croisements et d'intersections, des écarts et des marges qui sont considérablement tangibles dans les phénomènes culturels et les engagements artistiques d’aujourd’hui. La cartographie d’exil d’un artiste, ou plus généralement celle de l’exilé, est souvent le résultat d’une angoisse du territoire, d’une perte du chez soi. D’où venons-nous? Où allons-nous? L’exil est le résultat d'un processus souvent rapide et violent, celui du déracinement et de l'éloignement d'un territoire pour des raisons qui échappent souvent à la volonté des individus. Cet éloignement de son lieu d’origine provoque une envie de retour pour lequel on peut avoir recours à une carte pour y parvenir. Mais le lieu retrouvé n’est jamais le même que celui que l’on a quitté. Souvent lorsque l’on est en situation d’exil, le chez soi devient temporaire, changeant, voir nomade. En ce début de ce siècle on assiste à une ultérieure augmentation de la classe de travailleurs intellectuels qui entraîne une augmentation sans précèdent de la production éditoriale non seulement sur papier mais grâce à des éditions numériques de toutes sortes et de la production artistique à,partir de la manualité des instruments traditionnels de l'art et à partir de l'immatérialité des nouveaux outils technologiques de production artistique. Aujourd'hui, la mondialisation de l’économie a multiplié, fragmenté l’existence des industries de la communication et de loisirs. Le centre ou les centres sont connus, répertoriés, balisés, cartographiés et patrimonialités par les compétences des spécialistes et deniers que la nation consacre à la conservation et monstration du patrimoine, que l'on appelle aussi les biens culturels. Du reste, les visites de ces sites patrimoniaux, selon plusieurs analyses récentes, constituent d'importantes sources de bénéfices pour l'industrie du tourisme, le tourisme étant de plus en plus organisé en fournissant des activités d’enrichissement culturel aux visiteurs. le travail cartographique de l’artiste peut aussi refléter un positionnement entre deux mondes, repensant un espace entre deux systèmes conflictuels. L’artiste est à la fois spectateur et acteur. Il n’interroge plus ici sa place face au monde, mais bien sa place dans le monde, évoquant une mémoire collective et un agencement de fiction. Le travail cartographique de l’artiste peut aussi refléter un positionnement entre deux mondes, repensant un espace entre deux systèmes conflictuels. L’artiste est à la fois spectateur et acteur. Il n’interroge plus ici sa place face au monde, mais bien sa place dans le monde, évoquant une mémoire collective et/ou une biographie personnelle. Cette question de la subjectivité de la projection cartographique, outre le fait de nous révéler le monde selon différents angles de vue, aborde aussi le problème du point de vue du cartographe ou du commanditaire de la carte, ou plus précisément le problème de l’ethnocentrisme sous-jacent aux représentations traditionnelles, selon une idéologie toute occidentale. Mais certains pays ont aussi leur propre projection, leur permettant de se recentrer sur leur propre région. Imaginer n'est pas seulement évoquer une image, c'est aussi se représenter une chose en fonction de l’expérience que nous en avons et par rapport aux possibilités que nous projetons en elle ou à partir d'elle. Dans ce second sens, imaginer c'est déplier le possible à partir du réel, si bien que nous pouvons dire que j'imagine lorsque, «en voyant une pierre en tant que telle, à cause et en concomitance avec les impressions sensibles qui ont sollicité mes organes visuels, je sais mais je ne vois pas qu'elle est dure.»2 Ainsi par exemple, lorsque j'imagine que je vais casser une noix avec une pierre, j'imagine le faire avec une pierre parce que je m'imagine qu'elle est dure. On dira alors que je me la figure, c'est-à-dire que je rends présente la pierre à mon esprit en saisissant sa structure et en anticipant ses propriétés physiques. La carte est ainsi une manière de se figurer le monde: non seulement elle se connecte à un certain nombre des points qui composent pour nous une plateforme, nous permettant d'agir, une surface de mouvements possibles, si stratifiée soit-elle, en largeur, ou en épaisseur. Une carte est levée entre le ciel et la terre, et si vaste soit-elle, toujours limitée. Elle nous dit assez du réel pour que nous puissions agir sur lui en nous le figurant à partir de ce qu'elle nous permet d'en connaître. Pour imaginer, il faut de la distance entre soi et le monde, il faut du vide entre les choses, du néant à l'intérieur de l’être. La carte dans son processus de fabrication imaginaire à quelque chose à voir avec ce vide, ce qu'ont repéré et réduit certains artistes en tentant de cartographier cet entre ou ce blanc, cet interstice. Outre le fait de constater que la carte est généralement idéologiquement déterminée dans ses représentations et de le dénoncer, artistes en sont peu à peu venus au constat que la carte pouvait aussi être le théâtre de la figuration des désordres du monde les environnant. Au cours du XX siècle, les zones de conflit de plus en plus médiatisées et portées à notre connaissance, nous semblent plus proches et nous touchent particulièrement, il devint donc urgent pour les artistes d’en rendre compte et de faire apparaitre ceux-ci sur la surface plane de la carte. Cette idée de l’ordre et du désordre du monde a été transférée en broderies par Alighiero Boetti, en une sorte de version conceptuelle de la carte, par une opération de permutation modifiant à la fois la couleur des lettres et celles des cases. Enfin, la figuration des désordres du monde peut revêtir aussi l’aspect d’une réflexion collective, passant par la carte et l’écriture. Les artistes, architectes et autres contributeurs, prennent la carte et la cartographie comme point de départ pour transgresser les schémas conventionnels en vue de la promotion d’un nouvel ordre social. Allant du gaspillage, à la mondialisation, en passant par l’énergie, les migrations ou l’emprisonnement, les diverses thématiques ont une visée critique et politique. Les textes alliés aux cartes nous permettent de porter un regard nouveau et critique sur ces thématiques, pour envisager des améliorations et changements. La carte peut servir de moyen de dénonciation de quantité de faits, d’évènements, d’inégalités ou de conflits, régionaux, nationaux ou internationaux. Les artistes y puisent source d’inspiration et moyen d’action. La question telle qu’elle se pose aujourd’hui paraît donc plus radicalement être celle-ci: comment faire «maintenant» pour se souvenir? Comment faire pour se souvenir quand le réel se trouve constamment déjà mémorisé sous la forme d’un enregistrement qui se constitue «en temps réel»? Comment fonctionne la mémoire quand elle se trouve doublée par une mémoire-machine? Comment mémoriser quand tout semble déjà mémorisé, enregistré, archivé? Dans quelle mesure nos technologies nous refaçonnent-elles nos schèmes mémoriels? Les nouvelles technologies n’effacent pas la question de la mémoire, mais la font, au contraire, ressurgir sous une forme extrêmement précise. La première étape d’un art de la mémoire consiste donc à construire des lieux de mémoire. Leur choix est fondamental: il faut trouver des lieux réels, familiers et faciles à visualiser et pour cela, suffisamment espacés, lumineux et de taille modérée afin de pouvoir y placer des images. Tout art de la mémoire repose sur une véritable mise en scène de l’image qui doit être dramatique, au sens propre du mot qui frappe l’esprit. Pour mémoriser quelque chose, il faut donc, comme nous venons de le voir, fixer des lieux et leur donner une configuration précise avant d’y disposer des images. Ainsi la mémoire est-elle conçue comme quelque chose qui se déploie dans l’espace. De ce fait, les arts de la mémoire obéissent essentiellement à deux modèles spatiaux: celui de l’espace architectural « les bâtiments » et celui de la page écrite « les livres ». Quelle représentation du monde nous donne à voir les artistes d’aujourd’hui? S’agit-il encore de représenter la réalité telle qu’elle est, sous un aspect purement documentaire? Non, l’art contemporain, et surtout l’art d’aujourd’hui, s’il s’attache à représenter le monde, ce n’est plus dans un souci documentaire, mais plutôt dans une tentative d’investigation critique, en tant qu’artistes, arpentant le monde pour montrer l’infigurable.<br> La carte devient un support poétique et critique pour l’artiste dans son rapport à un monde parallèle. L’utilisation de la cartographie par l’artiste lui permet d’élargir considérablement le champ dans lequel s’inscrit sa pratique artistique, de défricher de nouveaux terrains d’expérimentation. Si certains artistes ont pour modèle ou référence, les actions menées par les artistes conceptuels ou ceux du Land Art, aujourd’hui d’autres problématiques viennent nourrir leur propos, renouvelant sans cesse des questions d’ordre subjectif. Les cartes sur lesquelles travaillent les artistes du Land Art sont des cartes quadrillées de quadrangle maps, qui sont le produit de la division d'un vaste territoire en quadrants. Ainsi le paysage est saisi grâce à une machine à dessiner de sorte que la carte devient elle-même un paysage quadrillé, une géométrie concrète. C'est par son absence de relief, la grille aurait ainsi la propriété de refouler le réel et d'affirmer simultanément l'autonomie de l'art. la carte est précisément le type de grille qui à la fois « refoule » les dimensions du réel et s'y soumet. Cette ambiguïté caractérise bien, à certains égards, l'usage que les artistes du Land Art peuvent en faire. La carte va leur servir non seulement à se préparer sur le territoire et à localiser leurs œuvres, mais aussi, et inversement, à les délocaliser et à les perdre dans les déserts, comme si leur démarche artistique correspondait à un processus mental dont la carte ne peut rendre compte qu'en bouleversant ses propres règles de construction. Ces différentes façons de voir le paysage, d’en haut, à plat, avec ou sans perspective, ont un impact sur la production artistique contemporaine. Certaines de ces idées vont mener au développement du Land Art. Un tournant artistique important s’opère entre le milieu des années 1950 et 1960, les artistes interrogeant la carte pour lui donner de nouvelles formes. Jasper Johns, dans sa série Maps, peint sur la surface plane et impersonnelle de la carte des États-Unis, comme pour «dés-esthétiser» sa peinture. Mais pourquoi peindre des cartes ou à partir de cartes? L’art conceptuel et le Land Art, tout comme l’art minimal qui s’intéresse aux nombres, à la mesure du temps et de l’espace, se mettent à considérer la planète comme un nouveau champ, un nouveau support pour leurs expérimentations. La cartographie des artistes du Land Art, comme Richard Long, Robert Smithson ou Hamish Fulton, se fait à pied, en marchant, le plan étant support de l’itinéraire, et de l’œuvre à venir. Bien qu’ayant avant mené intuitivement l’énoncé du sujet dans mon projet de Master II recherche Art Contemporain et Nouveaux medias , ce dernier ne s’est pas immédiatement présenté dans toute son évidence. Soucieux de mettre encore plus au clair l’origine de mes motivations afin de répondre positivement à cet acte de sincérité que propose la rédaction d'une thèse de doctorat , je me suis interrogé plus en profondeur sur la nature du lien rapprochant ma démarche en tant qu’étudiant, du domaine d’étude circonscrit par mon sujet. En effet, comment établir un dialogue constructif et cohérent entre les questions qui motivent mes recherches plastiques, et celles induites par un sujet touchant au cœur de mes préoccupations, dont on ne perçoit pourtant pas les signes dans ma pratique ? Presque à la manière d’une confidence, ce dialogue silencieux mais néanmoins éloquent à rassemblé en une étonnante équation mon intérêt spontané pour les questions relatives à la cartographie et l'art contemporain et leurs manifestes dans mes recherches plastiques et théorique. Ce dialogue, après réflexion, s’est avéré beaucoup moins énigmatique que ce qu’un premier regard a pu laisser paraître. J’ai choisi de détailler ici les raisons de mon choix quant à un tel sujet. Cela m’a permis par la suite d’éclaircir mon propos et d’en nourrir la singularité en évitant de le diluer dans une approche par trop générale et impersonnelle sur ce grand et vaste domaine de recherche. En témoin attentif aux mutations de mon cadre de vie, je cultive dans mes déplacements de tous les jours le goût de l’observation. Je mets un point d’honneur à me frotter au dehors, à travers la pratique de la marche notamment. Mon propre corps devient alors le véhicule privilégié d’un voyage à ma mesure, muant en expérience ce que d’aucuns accomplissent quotidiennement dans l’indifférence : le déplacement. Lorsque le temps du déplacement s’accorde pour ainsi dire avec le temps du corps, une relation de proximité s’instaure et encourage alors le promeneur à sonder les battements de la ville, à en saisir les infimes variations. Entrer dans des considérations qui touchant à l’urbanisme qui animent mon sujet de recherche, j’ai peu à peu forgé la conviction qu’une certaine perception de l’espace, associée à une qualité particulière de déplacement, réveille vraisemblablement une zone de l’esprit propice à l’imagination, alimentant par là même le désir d’aventure. La singularité de cette trajectoire qui m’est personnelle tient au fait que je me suis graduellement déplacé/ ou déraciner d’un environnement un autre territoire, la Tunisie marqué par une proximité avec la nature, vers la métropole parisienne que j’ai rejoint il y a maintenant plus de six ans. J’ai ainsi mesuré sur une durée relativement étendue, les différentes qualités de déplacements possibles dans des territoires variés révélant une conception à chaque fois différente du corps en mouvement, de la circulation et par extension, de l’espace.