Thèse soutenue

Un passé présent ? : Mutations et transformations de la place du national-socialisme, du IIIe Reich et de l’Holocauste dans la mémoire collective et l’identité allemande de 1945 à 2000

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Auteur / Autrice : Tilman Turpin
Direction : Astrid von Busekist
Type : Thèse de doctorat
Discipline(s) : Science politique
Date : Soutenance le 26/04/2023
Etablissement(s) : Paris, Institut d'études politiques
Ecole(s) doctorale(s) : École doctorale de Sciences Po (Paris ; 1995-....)
Partenaire(s) de recherche : Laboratoire : Centre de recherches internationales (1952-.... ; Paris)
Jury : Président / Présidente : Elissa Mailänder
Examinateurs / Examinatrices : Astrid von Busekist, Benjamin Boudou, Étienne François, Jakob Vogel
Rapporteurs / Rapporteuses : Benjamin Boudou, Étienne François

Résumé

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Le passé et la mémoire, on le sait, sont centraux pour un collectif mais leur lecture et interprétation ne font généralement pas l’unanimité. Déterminer le passé collectivement (« qu’est-ce qui s’est passé ? ») et le lire (« comment ça s’est passé ? ») font débat. Que faire alors lorsque le passé débattu a placé en-dehors de l’humanité ceux à qui il appartient ? Comment lui donner une place centrale alors qu’il constitue une « rupture civilisationnelle » (Jürgen Habermas) ? Passé et mémoire sont constitutifs d’une identité commune, d’un « nous » collectif, ils permettent de déterminer de quoi on fait partie. Qui est Allemand ? Voilà la question qui fut posée lors de la Leitkulturdebatte en 2000-2001, 10 ans après la chute du Mur et 55 ans après la chute du Troisième Reich. Ce débat est le point de départ de l’interrogation autour de quatre foyers de cristallisation d’une identité allemande normative :- la centralité de l’Holocauste à un moment où les discours publics évoquent un « retour à la normalité » ; - la présence de la période 1933-1945 comme référence et point pivotal dans le présent allemand alors que les derniers témoins disparaissent et que la deuxième rupture, celle de la chute du Mur, date désormais de plus de 30 ans. ;- la fièvre nationale de 2006, dite « marée noir-rouge-or », lors du Mondial de foot alors qu’il était entendu, depuis la Querelle des historiens, que l’Allemagne vivait à l’ère « postnationaliste » ; - la substitution du droit du sang par un « droit mémoriel », ce que Dan Diner appelle le « paradoxe ethnique ». Il s’agira de mettre en évidence la manière dont le national-socialisme, l’Holocauste et le travail de mémoire sont devenus constitutifs de l’identité allemande contemporaine, comment est advenue une communauté mémorielle exclusive et de retracer l’évolution de ce processus à travers les débats publics entre 1945 et 2000.En m’appuyant sur l’approche herméneutique d’Ernst Cassirer, sa philosophie des formes son utilisation de la scientia intuitiva, j’interroge en trois temps historiques (1945-1949, 1949-1989, 1990-2000) les mutations du triangle histoire – mémoire – identité qui auront conduit des premières analyses et interrogations en 1945 de la « catastrophe allemande » (Friedrich Meinecke) à la reconstruction intellectuelle et matérielle d’une identité nationale après 1990.D’abord, l’analyse de « l’interrègne de Nuremberg », dans l’après-guerre immédiat, et des premières approches d’un passé plus que présent. Des premières réflexions sur la « catastrophe allemande » (Friedrich Meinecke) et un nouveau départ (« heure zéro »), la logique s’est alors rapidement tournée vers l’idée d’une innocence collective. Ensuite, le questionnement de la place du passé dans le présent des deux États allemands nés en 1949, la RFA et la RDA, mettant en évidence deux approches fondamentalement différentes et opposées du travail de mémoire et de la place à accorder au passé dans le présent. Enfin la « République de Berlin » qui est devenue le nouveau cadre politique, mémoriel et identitaire, unissant les deux fils identico-mémoriels en un nouveau récit après 1990. Récit ardemment débattu tant au niveau de ses contenus que de sa forme, notamment au sujet de l’architecture à reconstruire de la nouvelle-ancienne capitale allemande.Mon travail montre que, au final, le passé reste l’élément central et dominant dans la construction identitaire allemande, et ce alors que l’impératif du souvenir s’est progressivement transformé en un marqueur d’appartenance à la communauté nationale, excluant ceux qui ne font pas partie du passé et de la mémoire (« n’est allemand que celui qui peut se souvenir ») et même si la génération des témoins n’est (presque) plus et bien que le processus de « normalisation » rend désormais possible la montée en puissance d’une extrême droite qui souhaite s’affranchir de cette mémoire.