Thèse soutenue

Propriétés des huiles utilisées en peinture : rôle des siccatifs au plomb

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Auteur / Autrice : Lucie Laporte
Direction : Laurence de Viguerie
Type : Thèse de doctorat
Discipline(s) : Physique et chimie des matériaux
Date : Soutenance le 08/12/2022
Etablissement(s) : Sorbonne université
Ecole(s) doctorale(s) : École doctorale Physique et chimie des matériaux (Paris)
Partenaire(s) de recherche : Laboratoire : Laboratoire d'archéologie moléculaire et structurale (Paris ; 2012-....)
Jury : Président / Présidente : Laurent Michot
Examinateurs / Examinatrices : Guylaine Ducouret, Francisco Mederos Henry
Rapporteurs / Rapporteuses : Pierre Bauduin, Véronique Schmitt

Résumé

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À partir du XVe siècle, les peintres préparent leurs peintures en broyant les pigments en présence d’huiles siccatives, comme l’huile de lin. Cette dernière constitue le liant, et forme un film solide après un long temps d’exposition à l’air. Afin d’accélérer le processus de séchage, il était d’usage pour les peintres de traiter leurs huiles avant d’y adjoindre des pigments. De nombreuses recettes historiques recommandent de chauffer les huiles en présence d’oxydes métalliques, appelés siccatifs. Parmi eux, l’oxyde de plomb (II) PbO était le plus fréquemment utilisé. En complément, de l’eau pouvait être ajoutée dans le milieu réactionnel. De tels traitements modifient la composition chimique des systèmes : les triglycérides de l’huile sont partiellement saponifiés et des savons de plomb sont formés. Simultanément, les propriétés physico-chimiques des huiles (consistance, couleur) évoluent. Ce travail vise à préciser les changements induits par le pré-traitement des huiles et à en comprendre l’origine. Dans ce but, les recettes historiques ont été transcrites en un protocole de formulation reproductible. Dans un second temps, la caractérisation des huiles traitées obtenues a été effectuée aux trois échelles : macroscopique, mésoscopique et moléculaire. L’impact de la quantité initiale de PbO (de 0 à 50% mol) et de l’ajout d’eau a été étudié. À l’échelle macroscopique, les propriétés rhéologiques sont fortement modifiées : l’huile seule, initialement newtonienne, voit sa viscosité augmenter avec la teneur en savons de plomb. Au-delà de 50% de PbO, les huiles saponifiées sont rhéofluidifiantes. L’échantillon d’huile chauffé avec 50% de PbO est également viscoélastique. À l'échelle supramoléculaire, des analyses SAXS et cryo-TEM ont révélé la présence de domaines lamellaires dispersés dans une matrice non organisée. La teneur en savons de plomb a un impact sur l’étendue et la distance caractéristique des domaines lamellaires. Afin de comprendre l’impact du cisaillement sur la structuration lamellaire identifiée au repos, les échantillons ont ensuite été analysés en rhéo-SAXS avec un faisceau synchrotron. Sous cisaillement continu, les lamelles ont adopté une orientation préférentielle dite parallèle. Un délaminage progressif a également été observé, plus marqué pour les échantillons les plus saponifiés. De manière surprenante, le cisaillement oscillatoire de l’échantillon viscoélastique a induit la formation de cylindres unilamellaires alignés dans le plan de cisaillement, conjointement à une diminution de l’élasticité de l’échantillon. En parallèle, l’influence de l’ajout d’eau au cours du chauffage a été étudiée : un déphasage progressif des échantillons a été observé, et les deux phases ont été caractérisées aux trois échelles. La caractérisation fine de la composition chimique des huiles saponifiées s’est avérée délicate mais a mis en évidence la grande diversité des espèces présentes dans les huiles traitées (savons, triglycérides partiellement saponifiés, chaînes aliphatiques isomérisées, cyclisées, etc.), et ce en raison des nombreux mécanismes réactionnels impliqués lors du chauffage. Aborder les huiles saponifiées selon une approche multi-échelles apporte un éclairage nouveau sur ce type de matériaux : le lien entre structuration supramoléculaire et comportement rhéologique a clairement été établi. La reconstitution de recettes historiques d'huiles chauffées en présence de PbO et l'utilisation de techniques analytiques complémentaires nous permet de mieux comprendre les pratiques picturales en usage à partir du XVe siècle. Afin d’affiner encore notre connaissance de ces systèmes, l’étude des huiles saponifiées au cours du séchage gagnerait à être poursuivie. Les observations faites sur les systèmes liquides pourraient ainsi être reliées aux altérations constatées à long terme sur les œuvres d’art.