Thèse soutenue

Les représentations de l'au-delà chez les chrétiens de Syrie-Mésopotamie durant les premiers siècles de l'Islam, à partir de l'édition critique de l'Apocalypse de Grégoire d'Édesse

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Auteur / Autrice : Alice Croq
Direction : Muriel Debié
Type : Thèse de doctorat
Discipline(s) : Langues, histoire et civilisations des mondes anciens des origines à l'antiquité tardive
Date : Soutenance le 18/11/2021
Etablissement(s) : Université Paris sciences et lettres
Ecole(s) doctorale(s) : École doctorale de l'École pratique des hautes études (Paris)
Partenaire(s) de recherche : Laboratoire : Orient et Méditerranée (Ivry-sur-Seine, Val de Marne ; 2006-....) - ORIENT ET MÉDITERRANÉE : Textes, Archéologie, Histoire
établissement de préparation de la thèse : École pratique des hautes études (Paris ; 1868-....)
Jury : Président / Présidente : Herman G. B. Teule
Examinateurs / Examinatrices : Muriel Debié, Mathieu Tillier, Alexander Treiger, André Binggeli, Barbara Roggema
Rapporteurs / Rapporteuses : Herman G. B. Teule, Mathieu Tillier

Résumé

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L'Apocalypse de Grégoire d'Édesse est emblématique de l'intérêt des milieux monastiques et cléricaux pour le sort de l'âme entre la mort et le jugement dernier en pays d'Islam. Aujourd'hui méconnue, cette vision du jugement des âmes, du paradis et des enfers, attribuée à l'ascète fictif Grégoire de la montagne d'Édesse, fut largement copiée et traduite tout au long du Moyen Âge. Après un premier volume consacré à l'histoire de sa transmission jusqu'à l'époque moderne et à l'édition critique du texte arabe, le second volume contextualise les représentations du monde des morts dans les littératures chrétiennes en langues syriaque et arabe de la fin du VIIe au Xe siècle. En croisant ce corpus largement inédit avec les sources iconographiques, épigraphiques et archéologiques, nous avons cherché à saisir l'évolution et la diffusion des doctrines.Transmise dans 57 témoins manuscrits en langue arabe, l'Apocalypse de Grégoire fut traduite en guèze en Éthiopie au XIVe siècle et en syriaque au Kérala (Inde) au XVIIe siècle. D'un point de vue littéraire, elle réinvestit le genre tardo-antique de l'apocalypse personnelle, dans la veine de l'Apocalypse de Paul, et participe à diverses tendances de la littérature arabo-islamique et médio-byzantine. Liée au cycle des lectures du Carême, sa fonction pastorale explique certainement sa popularité. En décrivant les rétributions des justes et les châtiments des pécheurs, le texte prescrit une série de comportements. L'au-delà fonctionne comme une projection idéalisée du monde d'ici-bas : les injustices terrestres sont compensées par la justice divine, dans un paradis dont les chrétiens ont le monopole.L'attention accordée au sort de l'âme dans l'Apocalypse de Grégoire trouve un écho dans la production théologique d'une période dite « de formation » de l'Islam (IIe-IVe s. AH/VIIIe-Xe s. AD). L'avènement de l'islam et l'émulation intellectuelle du premier siècle abbasside poussent les autorités ecclésiastiques à (re)formuler et à formaliser leurs dogmes. Dès la fin du VIIIe siècle, la définition du sort de l'âme devient un marqueur confessionnel : tandis que l'Église de l'Est prône la doctrine du sommeil de l'âme, l'Église syro-miaphysite défend l'idée que l'âme conserve sa conscience après la mort. Cette doctrine de la conscience de l'âme est utilisée pour promouvoir les rites funéraires et les pratiques liées au culte des morts, comme la commémoration et les donations pro anima. Pour ce faire, les auteurs mobilisent des traductions de la littérature patristique de langue grecque, l'héritage de leur tradition scolastique et les développements de la philosophie dans les cercles savants irakiens.Ce dynamisme intellectuel est perceptible dans un autre discours, dirigé contre l'eschatologie islamique. Les auteurs chrétiens opposent la « spiritualité » du paradis chrétien à la « sensualité » du paradis des musulmans, décrits comme des êtres essentiellement matérialistes. De l'historiographie syro-arabe, cette représentation passera à Byzance puis en Occident et ne s'est jamais vraiment épuisée.La polarisation entre au-delà chrétien et au-delà islamique permet aux auteurs chrétiens de justifier certaines croyances et pratiques chrétiennes, comme l'orientation de la prière (qibla) vers l'est et la vêture des dépouilles. En somme, l'au-delà devient un réel sujet de préoccupation et d'étude à l'époque islamique, et a des implications culturelles, sociales et économiques importantes pour les fidèles.Enfin, l'enquête met en évidence une forme d'homogénéité culturelle chez les chrétiens de la région, notamment du fait de lectures communes. L'Apocalypse de Grégoire, entre autres textes, invite à se détacher des catégories confessionnelles pour privilégier une approche régionale. Dans le futur, l'étude des réseaux dans lesquels s'inscrit la migration des textes, des motifs et, parfois, des hommes, devrait nous offrir une meilleure compréhension des interactions culturelles en terre d'Islam.