Thèse soutenue

Des paroles blessantes : genre, identités sociales et violence verbale dans l'Italie communale (Bologne, 1334-1402)

FR  |  
EN
Auteur / Autrice : Chloé Tardivel
Direction : Didier Lett
Type : Thèse de doctorat
Discipline(s) : Histoire et civilisations
Date : Soutenance le 20/11/2021
Etablissement(s) : Université Paris Cité
Ecole(s) doctorale(s) : École doctorale Sciences des sociétés (Paris ; 2019-....)
Partenaire(s) de recherche : Laboratoire : Identités, cultures, territoires (Paris ; 1992-....)
Jury : Président / Présidente : Giuliano Milani
Examinateurs / Examinatrices : Giuliano Milani, Ilaria Taddei, Damien Boquet, Dominique Lagorgette
Rapporteurs / Rapporteuses : Ilaria Taddei, Damien Boquet

Résumé

FR  |  
EN

La thèse se propose à partir de l'analyse de plus de 550 procès pour « paroles injurieuses » (verba iniuriosa) recueillis dans les archives judiciaires de Bologne d'enquêter sur les pratiques langagières des Bolonais et des Bolonaises du XIVe siècle. Ce travail de recherche pluridisciplinaire, à mi-chemin entre l'histoire sociale, l'histoire du genre, l'histoire de la justice pénale et de la sociolinguistique, montre tout d'abord à rebours de l'historiographie sur le sujet, que les hommes et les femmes adoptent le même code et comportement langagier lorsqu'il s'agit d'injurier son prochain. Qu'il s'agisse d'insulter, de maudire, de menacer ou de mépriser, les individus, quel que soit leur genre, disposent du même potentiel de blesser autrui par la parole. La particularité des sources étudiées réside dans la transcription de l'injure en langue vulgaire. L'objet de la recherche est d'enquêter aussi bien sur les pratiques langagières orales qu'écrites de la langue vulgaire à partir des registres judiciaires, une langue qui n'est pas normalisée au XIVe siècle. Dans un deuxième temps, dans une perspective anthropologique et de sociologie interactionniste, l'analyse s'intéresse aux situations injurieuses telles qu'elles sont rapportées dans les procès-verbaux (les lieux, les temps, le profil des injurieurs, des injurieuses, des injuriaires, mais aussi du public qui assiste à ces performances verbales, etc..). On défend l'hypothèse que par l'intériorisation des normes de genre, les hommes et femmes sont tenues de dénoncer par le langage tous ceux et celles qui ne s'y conformeraient pas en vue de maintenir l'ordre social et moral établi. Le discours injurieux est problématisé dès lors comme une opportunité pour les individus de performer une identité de genre au sein de leur communauté. En insultant publiquement un homme d'être « un traître », « un voleur » ou une femme d'être une « putain » (les figures repoussoirs du masculin et féminin à l'époque), la personne allègue face à la communauté que sa cible ne correspond pas aux attentes de genre (être un honnête homme ou une femme vertueuse). Dès lors, elle s'affirme comme la seule et unique garante des normes de genre en vigueur. Partant de l'idée qu'on injurie aussi bien avec la langue qu'avec le corps, une attention toute particulière est consacrée dans cette partie au langage corporel de l'injure médiévale. Enfin, dans un troisième temps, cette recherche propose de réfléchir sur la « moralité langagière » qui prévaut à cette époque-là, à partir des différentes pièces judiciaires recueillies en archives, et notamment à partir des brouillons notariaux qui ont fait très peu l'objet d'études de la part des médiévistes. La confrontation des procès pour « paroles injurieuses » conservés dans les registres judiciaires officiels avec leurs brouillons montre que les notaires ont tendance à « policer » la langue de l'injure réellement proférée pour ne faire apparaître dans un contexte judiciaire publique une langue injurieuse « acceptable », dans le but de protéger la réputation des victimes injuriées, principalement celle de sexe féminin. D'autre part, l'analyse de l'issue pénale des procès montre que les individus recourent à la justice non pas dans le but d'obtenir à tout prix une réparation financière mais dans le but d'obtenir avant tout une reconnaissance émotionnelle du préjudice subi, en le rendant public.