Thèse soutenue

Fabriquer la vie dans un laboratoire de biochimie ? : expérimentations sur les propriétés évolutives de réseaux biomoléculaires, enquête ethnographique, et réflexion épistémologique

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Auteur / Autrice : Cyrille Jeancolas
Direction : Philippe NghePerig Pitrou
Type : Thèse de doctorat
Discipline(s) : Biologie moléculaire et structurale et biochimie, biophysique moléculaire
Date : Soutenance le 15/11/2021
Etablissement(s) : Université Paris Cité
Ecole(s) doctorale(s) : École doctorale Frontières de l'innovation en recherche et éducation (Paris ; 2006-....)
Partenaire(s) de recherche : Laboratoire : Chimie, Biologie, Innovation (Paris) - Laboratoire d'anthropologie sociale (Paris ; 1960-...)
Jury : Président / Présidente : Stéphane Douady
Examinateurs / Examinatrices : Stéphane Douady, Sophie Houdart, Purificación López-García, Thomas Heams
Rapporteurs / Rapporteuses : Sophie Houdart, Purificación López-García

Résumé

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La question de l'abiogenèse (c'est-à-dire de l'origine de la vie) est une question transversale à l'intersection de préoccupations scientifiques, anthropologiques et philosophiques. Cette thèse interdisciplinaire combine des approches des sciences de la nature, et des sciences humaines et sociales, pour présenter des résultats expérimentaux de biochimie, leur contexte de production et le paysage conceptuel dans lesquels ils s'insèrent. Le champ de la recherche sur l'origine de la vie regroupe une multiplicité d'approches, allant de la détection de biosignatures dans des formations géologiques, à la simulation informatique de phénomènes biologiques. Une de ces stratégies consiste à fabriquer des systèmes physico-chimiques évolutifs capables d'acquérir de nouvelles propriétés, que les chercheurs associent à des processus vitaux, comme le métabolisme ou la reproduction. Cependant, il n'y a pas de consensus scientifique sur la définition de la vie, et les laboratoires impliqués dans cette entreprise peuvent avoir des conceptions différentes de ce phénomène complexe. De ce fait, la signification des artefacts synthétisés ne se comprend qu'en associant leur fonctionnement physico-chimique à la culture épistémique de ceux qui les produisent. En prenant comme cas d'étude le laboratoire de biochimie de l'ESPCI Paris - PSL, (i) nous présentons des résultats expérimentaux de processus évolutifs dans des réseaux biomoléculaires, (ii) nous mettons en lumière le contexte humain de cette recherche sur l'origine de la vie, (iii) et nous proposons un cadre philosophique conceptuel de la transition de l'inerte au vivant. Ceci aboutit à l'élaboration du concept de « protovies » faisant référence aux objets fabriqués et interprétés comme évoluant vers un vivant supposé. L'étude des protovies du laboratoire permet ainsi d'en apprendre plus sur l'abiogenèse, mais aussi sur les conceptions de la vie des chercheurs impliqués. (i) Dans cette thèse, nous présentons les réalisations expérimentales de deux protovies : un système de gouttelettes microfluidiques qui croissent et se divisent en fonction de leur composition chimique ; et un système d'ARN catalytiques qui se reproduisent moléculairement, en générant en parallèle de nouvelles espèces d'ARN. Les résultats présentés montrent la possibilité de faire émerger des propriétés d'évolution darwinienne au sein de systèmes synthétiques non vivants, permettant ainsi d'appréhender des étapes de l'abiogenèse. (ii) D'un point de vue anthropologique, nous exposons les résultats d'une ethnographie (c'est-à-dire la description et l'analyse d'un groupe culturel depuis l'intérieur) de la production et de l'interprétation des protovies présentées dans la partie biochimique de la thèse, au regard des conceptions darwiniennes de la vie des chercheurs du laboratoire. À l'aide d'une observation participante et d'entretiens semi-directifs, nous montrons comment les systèmes synthétiques étudiés deviennent des protovies, au fur et à mesure des expérimentations, analyses et discussions. (iii) Enfin avec une démarche de philosophie des sciences, nous affinons les différentes compréhensions de la question même de l'origine de la vie, selon plusieurs axes de contraintes liées à : l'historicité, la spontanéité et la similarité avec la vie telle qu'on la connait. Cela rend explicite les types de questions auxquelles les protovies nous permettent de répondre. Cette réflexion s'accompagne de la mise en place d'outils conceptuels, sous la forme de seuils, pour faciliter la conceptualisation de scénarios d'origine de la vie, dans lesquels peuvent s'insérer les protovies.