Thèse soutenue

Jeunes citadins d'Afrique centrale et de l'Ouest au Maroc : les coulisses de la migration au prisme des corps

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Auteur / Autrice : Annélie Delescluse
Direction : Frédéric Bourdier
Type : Thèse de doctorat
Discipline(s) : Sociologie
Date : Soutenance le 15/10/2021
Etablissement(s) : Paris 1
Ecole(s) doctorale(s) : École doctorale de Géographie de Paris. Espace, sociétés, aménagement (Paris)
Jury : Président / Présidente : Ndiaga Loum
Examinateurs / Examinatrices : Frédéric Bourdier, Sophie Bava, Mustapha El Miri
Rapporteurs / Rapporteuses : Anaïk Pian, Joseph Tonda

Résumé

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Cette thèse propose une analyse sur la migration au prisme du corps. L'enquête ethnographique, principalement réalisée dans deux quartiers périphériques de Rabat entre 2016 et 2019, étudie les trajectoires de ressortissants sénégalais, camerounais et ivoiriens pour qui le Maroc est un pays de résidence à moyen ou à long terme. L'étude croise les notes des carnets de terrain ethnographique, saisis dans les espaces publics et privés de la vie des migrants, avec des entretiens et d'autres outils biographiques. Les cinq parties de la thèse sont organisées autour d’une structuration thématique qui met le corps au centre de l’analyse. Les corps des migrants y sont lus comme une échelle à travers laquelle se déclinent, s’impriment, s’expriment et s’articulent des rapports sociaux d’âge, de classe, de genre et de race. La thèse souligne le processus de dépréciation des vies des jeunes migrants noirs dont les corps mis à l’épreuve par : le travail aux marges du salariat (celui des manœuvres dans le bâtiment, des nettoyeurs dans des garages-auto, des employées domestiques, des salariés agricoles, des commerçants et des cordonniers informels), ou au cœur des activités mondialisées sous forte pression de compétitivité économique et numérique (les centres d’appel offshore) ; la violence socio-raciale qui s’inscrit dans un racisme systémique contemporain hérité des préjugés coloniaux et esclavagistes et qui se rencontre dans le quotidien de la vie (dans la rue, à l’hôpital, dans les administrations, face aux policiers) ; la vulnérabilité économique et administrative ; les politiques migratoires européennes et marocaines restrictives et militarisées (Ceuta et Melilla), la déshumanisation par l’assignation à l’ « encampement » ; et enfin, la mort. Ce corps, objet de souffrance et porteur d’espoirs contrariés, malgré quelques issues heureuses, dessine la condition des migrants noirs au Maroc et de manière plus générale en Afrique du nord. D’un côté, la thèse s’attache à comprendre la diversité des manières dont le corps est pensé, vécu et investi dans les coulisses de la vie quotidienne. D’un autre côté, elle ambitionne de réfléchir à ce qui unit cette jeunesse en quête d’argent, de notoriété et de reconnaissance, qui est confrontée à des formes d’immobilité spatiale, sociale et économique au Maroc, et ce, bien qu’elle soit toujours « connectée ». Si les souffrances physiques et psychiques sont au cœur de l’expérience migratoire, l’enquête tente de montrer, in fine, que les personnes migrantes se défendent, se révoltent et résistent face aux tentatives de réification et de désubjectivation de leur corps. L’attention aux corps pieux et au fait religieux, qui prend un nouvel essor au cours du séjour au Maroc, est une illustration intéressante. Car, pour les chrétiens comme pour les musulmans, « c’est Dieu la force » qui permet de survivre aux épreuves de la migration, de leur donner un sens, et de déjouer les agressions de sorcellerie et les pactes diaboliques qui les menacent depuis leurs pays d’origine. Cette enquête permet aussi bien d’enrichir la compréhension du fait migratoire que d’apporter des pistes de réflexion en socio-anthropologie du corps et de la religion, ainsi qu’en sciences de l’information et de la communication.