Thèse soutenue

La violence aux urgences : une ethnographie du travail soignant

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Auteur / Autrice : Déborah Ridel
Direction : Ivan Sainsaulieu
Type : Thèse de doctorat
Discipline(s) : Sociologie et démographie
Date : Soutenance le 01/12/2021
Etablissement(s) : Université de Lille (2018-2021)
Ecole(s) doctorale(s) : École doctorale Sciences économiques, sociales, de l'aménagement et du management (Villeneuve d'Ascq)
Partenaire(s) de recherche : Laboratoire : Centre lillois d'études et de recherches sociologiques et économiques (Clersé)
Jury : Président / Présidente : Marc Loriol
Examinateurs / Examinatrices : Anne-Marie Arborio, Florent Schepens
Rapporteurs / Rapporteuses : Anne Paillet, Alexis Spire

Résumé

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Comment se caractérise la violence aux urgences ? Visant à déconstruire la visionunilatérale, asymétrique, spectaculaire et sécuritaire véhiculée par les discours politicomédiatiques, cette thèse donne à voir une violence polysémique et symétrique, dontl’expérience est partagée par les soignant∙e∙s et les patient∙e∙s. Inscrite dans uneperspective interactionniste, elle repose sur une enquête ethnographique menéede 2016 à 2018 dans deux services d’urgence d’hôpitaux publics non universitaires dedeux villes de taille moyenne du nord de la France.La recherche examine d’abord l’organisation du travail aux urgences de jour et de nuit,de l’accueil à l’hospitalisation en passant par le déchocage et le renvoi à domicile. Lesmultiples formes de délégation du « sale boulot » révèlent une tendance à ladémédicalisation de ces services, symptomatique d’une progressive spécialisationautour de la régulation de la violence dite « sociale ». Le décalage entre la fonctionmanifeste des urgences, qui consiste à « sauver des vies », et leur fonction latente deprise en charge de cette violence « sociale » participe alors à produire une violenceinstitutionnelle. Ainsi, les urgences sont une institution qui est à la fois terrain del’expression de la violence, et productrice de violence.Après avoir décrit les formes de violence ordinaire aux urgences, la thèse examine lafaçon dont l’institution hospitalière se saisit de cette question, mais aussi dont lessoignant∙e∙s y font face de manière individuelle et collective. La stratégie institutionnellede sécurisation des lieux se concrétise par la fermeture des portes des urgences auxaccompagnateurs et accompagnatrices, et par la présence accrue de personnels desécurité. Ces dispositifs réinterrogent l’organisation du travail. Ils nécessitent souventune organisation informelle de l’équipe soignante qui se traduit par du « bricolage » etpar le floutage des frontières professionnelles. Ces arrangements interrogent le sens dutravail et de la professionnalité des soignant∙e∙s : ils impliquent des repositionnementsindividuels et collectifs et des questionnements déontologiques sur la missiond’hospitalité, d’accessibilité et de service public du collectif soignant craignant de plusen plus de devenir « violent malgré lui ».L’analyse des conditions de production de la violence permise par l’ethnographie dutravail soignant montre ensuite que les urgences sont au croisement de divers rapportssociaux de domination. Cela produit un ethos viriliste propre aux urgences, à mi-cheminentre l’ethos chirurgical techniciste qui sauve des vies, d’une part, et l’ethos sécuritairede contrôle social des forces de l’ordre, d’autre part, que nous proposons de nommerl’ethos oxyologique.Finalement, ouvrant la réflexion aux logiques de guichet et à la sociologie des groupesprofessionnels, ainsi qu’aux formes inégalitaires d’accès aux soins d’urgence, cettethèse contribue à la sociologie du travail autant qu’elle éclaire l’organisation du systèmede santé en France.