Thèse soutenue

Perspectivisme. Leibniz, Nietzsche, Whitehead, Deleuze

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Auteur / Autrice : Dorian Astor
Direction : Michaël Fœssel
Type : Thèse de doctorat
Discipline(s) : Sciences humaines, Art, Lettres et Langues
Date : Soutenance le 15/06/2021
Etablissement(s) : Institut polytechnique de Paris
Ecole(s) doctorale(s) : École doctorale de l'Institut polytechnique de Paris
Partenaire(s) de recherche : Laboratoire : Laboratoire interdisciplinaire de l'X-LinX-SHS [Palaiseau, Essonne] - Laboratoire interdisciplinaire de l'Ecole polytechnique en sciences humaines et sociales
Jury : Président / Présidente : Frédéric Brechenmacher
Examinateurs / Examinatrices : Michaël Fœssel, Patrick Wotling, Guillaume Sibertin-Blanc, Isabelle Stengers, Anne-Lise Rey
Rapporteurs / Rapporteuses : Patrick Wotling, Guillaume Sibertin-Blanc

Résumé

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Le perspectivisme suscite aujourd'hui, en histoire de la philosophie comme dans la pensée contemporaine, un intérêt grandissant. C'est qu'il est une proposition à la fois épistémologique, ontologique et cosmologique : il désigne, en première analyse, une doctrine unifiée de la connaissance, de l'être et du monde modélisée par analogie avec la perspective picturale, qui, à l'âge classique, fut formalisée par la géométrie et mobilisée par la métaphysique. Toute réalité y est conçue comme conditionnée par l'interdépendance entre un point de vue toujours situé et une apparence toujours projetée sous un certain angle. On aurait pu penser que le perspectivisme donnerait lieu à des formes de subjectivisme radical : « chacun son point de vue » ou, pire encore : « chacun sa vérité », - mais c'est tout le contraire. La réalité apparaît sous une infinité de perspectives différemment situées, mais elle n'est rien d'autre que ce tissu de relations perspectives interconnectées. S'il est une formule qui puisse servir de fil conducteur, c'est bien celle, lapidaire, donnée par Deleuze dans son ouvrage sur Leibniz : « le perspectivisme comme vérité de la relativité (et non relativité du vrai) ». Et de fait, Leibniz est inaugural : contre les impasses du dualisme cartésien de l'esprit et de la matière, l'analogie avec les lois de la perspective lui a servi à décrire la convergence harmonieuse de tous les points de vue spirituels, dont les corps sont le site. Nietzsche quant à lui, revendique, contre le dualisme kantien et schopenhauerien de l'en-soi et du phénomène, un perspectivisme radical, dont il introduit le terme pour définir les conditions indépassables de l'existence. Whitehead enfin, contre la bifurcation moderne de la nature en qualités premières et secondes, s'appuie sur le modèle perspectif pour produire une véritable cosmologie. Deleuze, justement, a été le premier à évoquer un lien profond unissant les perspectivismes de Leibniz, de Nietzsche et de Whitehead, et à faire de leurs divergences même l'enjeu de sa propre logique du sens et de sa théorie de l'être. Or si cet enjeu est central pour lui, Deleuze n'a jamais explicité cette comparaison à trois éléments : il a brièvement comparé Leibniz et Nietzsche dans Logique du sens et, presque vingt ans plus tard, dans Le Pli, Leibniz et Whitehead, en des termes singulièrement semblables. Entre Leibniz d'une part, et Nietzsche et Whitehead d'autre part, Deleuze a observé et repris à son compte une transformation de l'harmonie des perspectives convergentes sur un même monde en synthèses paradoxales (disjonctives) de la pluralité virtuellement chaotique de perspectives divergentes. Mais il n'a jamais explicité, entre Leibniz, Nietzsche et Whitehead, la triangulation qui pourtant lui permettait de définir une « école un peu secrète » dans laquelle lui-même entendait s'inscrire. C'est d'abord à une telle explicitation qu'est consacré le présent travail comparatiste : on y entreprend de traverser l'aventure perspectiviste en multipliant les analogies et les hybridations entre Leibniz, Nietzsche, Whitehead et Deleuze, et d'en mesurer l'héritage. Car on y convoque également l'anthropologie contemporaine aux prises avec des ontologies perspectivistes non-occidentales, et même l'éthologie, attentive aux points de vue non-humains, en faveur d'une véritable écologie des relations perspectives. Le perspectivisme, conçu comme cette aventure et cet héritage, est susceptible non seulement de surmonter « tous les dualismes qui sont l'ennemi » (Deleuze), mais encore de faire émerger d'une cosmologie perspectiviste la cosmopolitique qui lui corresponde.