Thèse soutenue

Les Prophéties de Tulum : Pratiques ordinaires de l'histoire et Dynamiques de co-création d'une identité locale

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Auteur / Autrice : Melissa El Bez
Direction : Alban Bensa
Type : Thèse de doctorat
Discipline(s) : Anthropologie sociale et ethnologie
Date : Soutenance le 22/09/2021
Etablissement(s) : Paris, EHESS
Ecole(s) doctorale(s) : École doctorale de l'École des hautes études en sciences sociales
Jury : Président / Présidente : Michel Lussault
Examinateurs / Examinatrices : Michel Lussault, Elisabeth Cunin, Aline Hémond, Kali Argyriadis, Sébastien Jacquot, Sylvie Pédron-Colombani
Rapporteurs / Rapporteuses : Elisabeth Cunin, Aline Hémond

Résumé

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Tulum est un carrefour touristique et migratoire de la côte caraïbe du Mexique. A partir d’un matériau ethnographique recueilli entre 2009 et 2019, cette recherche contribue à la compréhension des mécanismes qui président aux processus de sociogenèse et d’élaboration identitaire dans le monde globalisé. Cette thèse s’inscrit dans la lignée de l’anthropologie dynamique et de l’ethnographie réflexive. Ainsi, la ville de Tulum n’y est pas présentée via une description se voulant objective et stable, mais à travers une pluralité de perspectives dont l’évolution diachronique est apparente. Afin de rendre compte des dynamiques susceptibles de faire émerger (ou non) un sentiment d’appartenance commun aux tuluméens, un chapitre a été consacré aux principales versions de l’identité locale qui se dégagent du débat public: le Tulum ‘maya patrimonial’ et le Tulum ‘hippy cosmopolite’. Ces produits de l’imaginaire sont exposés dans l’histoire longue des rencontres et des rapports de force qui leur ont donné naissance. Les interactions sociales qu’ils suscitent sont mises en évidence, ainsi que les enjeux politiques qu’ils soulèvent, les aspirations qui les portent, et les pratiques de l’histoire qui les légitiment. Le chapitre consacré au Tulum ‘maya patrimonial’ invite à revenir sur la nationalisation de la région et à développer une réflexion sur la patrimonialisation comme processus d’appropriation territoriale. On y découvre une guerre menée par des acteurs méconnus (les macehualob), qui constituent encore aujourd’hui un maillon essentiel de la vie politique locale. Si la tendance à rapporter leurs pratiques à ‘la culture maya’ désactive leur potentiel subversif, ils ont su mettre à profit les législations indigènes pour gagner en pouvoir. La performativité politique du tourisme transparait également dans des trajectoires de tuluméens qui sont amenés à propager et à réinterpréter des mythes nationalistes pour mener leurs activités quotidiennes (un danseur préhispanique par exemple). Le chapitre suivant porte sur la prégnance d’une représentation de Tulum comme une terre d’accueil cosmopolite qui permettrait de libérer son soi profond. Il y est question de migrants d’agrément, de population flottante et de l’idée répandue selon laquelle Tulum sélectionne elle-même ses habitants en fonction de valeurs et de normes constitutives de la version ‘hippy cosmopolite’ de l’identité locale. Tulum y apparait insérée dans une territorialité alternative qui repose sur des styles de vie mobiles, sur des notions New Age comme l’information cosmique, et sur des théories pseudo-historiques comme celle des anciens astronautes.Le dernier chapitre porte sur les dynamiques de confrontation et de convergence entre les deux versions de l’identité locale. Alors que la mobilité de nombreux habitants et leurs revendications de cosmopolitisme se présentent comme des obstacles aux projets de patrimonialisation, la figure hybride du hippy-maya, à la fois cosmopolite et patrimonialisable, a émergé de l’imaginaire collectif avec son lot de pratiques culturelles, de modes de présentation de soi et de théories pseudo-historiques. Par ailleurs, les rouages souterrains de la vie politique locale dévoile que, derrière l’opposition officielle des dirigeants aux hippies et aux migrants illégaux, ils tissent des alliances révélatrices d’une tradition politique aussi inclusive qu’opportuniste.L’ambivalence des relations sociales est une constante dans cette thèse, où l’appropriation de l’identité maya par des New Agers apparait à la fois dans sa dimension de domination et de syncrétisme fédérateur, où l’inefficacité des recours politiques formels pousse les habitants à redoubler d’innovation dans les politiques de la vie, où la fermeture de l’horizon d’attente se solde par des inventions calendaires et des attentes millénaristes, et où le désenchantement des tuluméens face à l’évolution de leur lieu de vie constitue un signe d’appartenance porteur de lien social…