Thèse soutenue

"Une langue propre à son cœur" : Mme de Sévigné, l'amour et le langage

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Auteur / Autrice : Nicolas Garroté
Direction : Christian BelinPatrick Dandrey
Type : Thèse de doctorat
Discipline(s) : LITTERATURES FRANCAISES, COMPAREES spécialité Littérature française
Date : Soutenance le 01/12/2020
Etablissement(s) : Montpellier 3
Ecole(s) doctorale(s) : École doctorale 58, Langues, Littératures, Cultures, Civilisations
Partenaire(s) de recherche : Laboratoire : Institut de recherche sur la Renaissance, l'âge classique et les Lumières (Montpellier)
Jury : Président / Présidente : Pierre Ronzeaud
Examinateurs / Examinatrices : Emmanuel Bury, Anne Régent-Susini
Rapporteurs / Rapporteuses : Nathalie Colin Freidel

Mots clés

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Mots clés contrôlés

Résumé

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Dans la Recherche du temps perdu, Odette et Swann ne disent pas « faire l’amour » mais « faire catleya », recourant à ce que Proust appelle une « langue moins générale, plus personnelle, plus secrète, que la langue habituelle ». Une « langue » que les psychologues qualifient quant à eux de « cryptophasie » et dont la Correspondance de Mme de Sévigné offre un exemple à la fois unique et révélateur. À partir des échos de son monde et des éclats de ses livres, l’épistolière tisse dans ses lettres à sa fille un idiome à part qui n’est ni un dialecte (une langue propre à une communauté) ni un idiolecte (une langue propre à une personne), mais ce que l’on pourrait appeler un duolecte ou une langue intime : un idiome familial que l’on peut qualifier, à la lumière des travaux de Deleuze et Guattari, de « langue mineure ». Cette « langue », nous la reconstituons à partir des différentes versions du texte, car elle a sans cesse été mutilée (modifiée ou effacée) au fil des publications, les éditeurs craignant sans doute que le lecteur peine à comprendre (ou à savourer) les expressions intimes (et parfois audacieuses) de la marquise. Pendant un quart de siècle (1671-1696), elle fut le médium permettant à Mme de Sévigné d’écrire « trois fois la semaine » des « lettres d’amour » qui ne fussent pas des « portugaises ». D’exprimer de manière spirituelle, joyeuse, authentique et profonde une passion hors du commun que la prose « classique » était inapte à dire. Par ailleurs, tout en constituant la clef de voûte de la Correspondance, cette « langue propre à son cœur » répondait – peut-être pour la première fois dans l’histoire – aux exigences fondamentales du genre : celles d’être une « conversation entre absents » et un « miroir de l’âme ». De sorte qu’on peut dire qu’elle est à la fois le ressort essentiel de l’œuvre et le couronnement du genre. À la fois le secret d’une poétique personnelle, ou auctoriale (celle de Mme de Sévigné) et la clef d’une poétique générique (celle de la lettre). Mieux, son apparition dans les lettres constitue un pivot dans l’histoire littéraire, un événement capital qui a contribué à opérer le passage d’un régime esthétique à un autre : de la mimesis à la littérarité, du Canon au Génie, de ce que Genette appelle la « littérarité constitutive » à la « littérarité conditionnelle ».