Thèse soutenue

Produire et protéger une ressource cachée : Analyse comparée France-Inde de la constitution des eaux souterraines en discipline et métier aux prises avec des enjeux contradictoires
FR  |  
EN
Accès à la thèse
Auteur / Autrice : Gaïa Lassaube
Direction : Denis Salles
Type : Thèse de doctorat
Discipline(s) : Sociologie
Date : Soutenance le 07/05/2020
Etablissement(s) : Bordeaux
Ecole(s) doctorale(s) : École doctorale Sociétés, politique, santé publique (Bordeaux)
Partenaire(s) de recherche : Laboratoire : Centre Émile Durkheim - Science politique et sociologie comparatives (Pessac, Gironde)
Jury : Président / Présidente : Andy Smith
Examinateurs / Examinatrices : Denis Salles, Andy Smith, Gabrielle Bouleau, Charles Gadéa, Audrey Richard-Ferroudji
Rapporteurs / Rapporteuses : Gabrielle Bouleau, Charles Gadéa

Résumé

FR  |  
EN

Ce travail de thèse s’efforce d’identifier les arrangements institutionnels visant à assurer la gestion des eaux souterraines dans deux contextes géographiques contrastés. L’Inde est le premier extracteur mondial d’eaux souterraines. L'accès à ces ressources a joué un rôle primordial dans le développement de ce pays, qui a conduit à un paradoxe indien : une extraction intensive des nappes dans des régions ne présentant pas des caractéristiques favorables. En France, la pression sur la ressource est moins critique, mais bien présente. Le choix d’une comparaison entre France et Inde permet de mettre en lumière le caractère fluctuant et négociable des réponses organisationnelles qui ont vu le jour pour gérer les tensions sur les eaux souterraines. La recherche adopte une approche processuelle des institutions. Nous considérons les organisations ayant en charge les eaux souterraines, mais aussi les connaissances qui y sont liés. L’approche socio-historique permet de souligner les relations entre politiques publiques et constitution de l’hydrogéologie en discipline scientifique tout au long du XXe siècle. L’attention à la localisation des lieux de production de savoir dévoile des perspectives développementalistes croisées. La stabilisation des eaux souterraines en corpus unifié, détaché du socle des sciences de la Terre, est tributaire de la localisation des lieux de production des savoirs. En France, des géologues de formation oeuvrent dans les territoires d’Afrique du Nord, innovent et accumulent une expérience rapatriée en métropole. En Inde, le développement des politiques liées aux eaux souterraines est tributaire des enjeux internationaux d’après l’Indépendance. Avec la doctrine Truman, les hydrogéologues indiens sont formés par des praticiens américains en Californie, premier terrain historique des conséquences de la surexploitation des eaux souterraines. Progressant, nous considérons l’évolution des savoirs disponibles et des projets portés par les politiques publiques. En faisant appel à différents fonds d’archive (textes de lois et de débats législatifs, monographies de la recomposition des services, etc.), nous abordons la période en mettant à distance le risque de jugement historique. L’étude montre des acteurs aux prises avec des objectifs contradictoires et des compromis technocratiques. Au-delà des éléments cognitifs qui confirmeraient la représentation que nous avons des régimes extractifs passés, ces archives dévoilent des inquiétudes proches de celles qui peuvent être exprimées à notre époque. Une étude des différents régimes d’attention des eaux souterraines ne pourrait être complète sans se consacrer à l’étude des acteurs évoluant dans le champ de l’expertise hydrogéologique. La recherche étudie le groupe professionnel des experts des eaux souterraines dans un cadre temporel. Elle considère les jeux d’identification (harmonisation des techniques et des formations) mais aussi de différentiation interne et externe avec d’autres métiers. Cette thèse s’est inspirée du parcours précédents des chercheuses et chercheurs ayant initié ces dernières années des travaux d'analyse sociologique des activités professionnelles à l’épreuve de l’environnement. En croisant des méthodes qualitatives et quantitatives, on étudie la mise à l’épreuve du travail des hydrogéologues par l’apparition de mots d’ordre et d’injonctions visant à la protection des eaux souterraines. L’analyse montre que la pluralité des modes d’insertion de la question environnementale ne dessine pas une profession uniforme. Loin de se composer une voie propre, à la fois vertueuse et détachée des sciences du sous-sol, l’hydrogéologie n’est pas sujette à des transformations radicales mais à un renforcement de positions fragiles.