Thèse soutenue

Gouverner la faim dans le monde ? : le paradigme de la sécurité alimentaire mondiale, ses instruments et ses critiques (1974-2014)

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Auteur / Autrice : Lise Cornilleau
Direction : Pierre-Benoît JolyOlivier Borraz
Type : Thèse de doctorat
Discipline(s) : Sociologie
Date : Soutenance le 30/09/2019
Etablissement(s) : Paris Est
Ecole(s) doctorale(s) : École doctorale Organisations, marchés, institutions (Créteil ; 2015-....)
Partenaire(s) de recherche : Laboratoire : Laboratoire Interdisciplinaire Sciences Innovations Sociétés
Jury : Président / Présidente : Soraya Boudia
Examinateurs / Examinatrices : Pierre-Benoît Joly, Olivier Borraz, Sandrine Revet, Grégoire Mallard, Emmanuel Didier, Claire Marris
Rapporteurs / Rapporteuses : Sandrine Revet, Grégoire Mallard

Mots clés

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Résumé

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La crise alimentaire mondiale de 2008, caractérisée par une envolée des prix alimentaires mondiaux et des "émeutes de la faim" dans plusieurs pays du Sud, met à l’épreuve les fondements politiques et épistémiques de la gouvernance mondiale de la faim. Cette crise a renforcé le crédit des visions alternatives du problème de la faim dans le monde (droit à l’alimentation, souveraineté alimentaire) qui contestent le paradigme dominant, celui de la sécurité alimentaire mondiale. Né à la suite de la crise alimentaire mondiale de 1974, ce dernier s’est imposé dans les organisations internationales (FAO, Banque mondiale, Consultative Group on International Agricultural Research (CGIAR)) à travers certaines disciplines (économie néo-classique, génétique) et quantifications (statistiques internationales, modèles mondiaux), ainsi qu’une hiérarchisation du droit international de l’agriculture dominée par le GATT.La thèse porte sur les efforts des partisans de la souveraineté alimentaire et du droit à l'alimentation pour transformer le paradigme dominant en coproduisant avec ces organisations internationales – qui s'ouvrent aux acteurs non-étatiques de manière inédite à l'occasion de la crise de 2008 – de nouveaux savoirs et de nouveaux instruments métrologiques et juridiques. A l'issue de ces processus, le paradigme de la sécurité alimentaire mondiale reste défendu par plusieurs diplomaties puissantes, bénéficiant de l'appui renouvelé des entreprises agro-alimentaires et fondations philanthropiques, tout en ayant internalisé une partie des critiques reçues. Il bénéficie aussi des effets d’irréversibilité propres à différents instruments qui sont étudiés dans la thèse (rapports d’experts, quantifications, droit international). En parallèle, le droit à l'alimentation et la souveraineté alimentaire connaissent une institutionnalisation dans ces organisations internationales à travers ces nouveaux instruments, que certains acteurs critiques voient comme les jalons d’un nouveau paradigme « en train de se faire ».La thèse repose sur une enquête ethnographique multi-sites et multi-niveaux menée auprès des experts des organisations internationales (FAO, Rapporteur Spécial pour le Droit à l'Alimentation, Banque mondiale), auprès de la diplomatie française au sein du Comité de la Sécurité Alimentaire mondiale de l’ONU, auprès des mouvements sociaux et ONG internationales et auprès des entreprises multinationales de l’agro-alimentaire et fondations philanthropiques. Elle analyse aussi des sources écrites : base de presse ; archives ; et littérature grise.La thèse mobilise la théorie néo-institutionnaliste des champs, afin de saisir une gouvernance globale controversée au prisme des concurrences entre instruments. Ainsi, elle se distingue des travaux fondés sur la théorie des régimes internationaux, mobilisée à la fois en science politique (avec les communautés épistémiques) et en Science & Technology Studies (à travers la coproduction entre politique et régimes de savoirs). Elle montre l’intérêt d’une approche de la coproduction entre science et politique située à l’échelle des instruments de la gouvernance globale, qui sont les enjeux de luttes pour acquérir une forme de juridiction épistémique. Elle analyse aussi les ressorts de la persistance et du changement des paradigmes internationaux, en complétant l’entrée par les communautés épistémiques par un regard porté sur les instruments en considérant à la fois les effets de verrouillage qu'ils créent, mais aussi les « prises » qu’ils offrent aux acteurs pour institutionnaliser des alternatives. Elle complète enfin le diagnostic de la fragmentation et de la privatisation des politiques agricoles internationales, en montrant le poids croissant des acteurs non-étatiques (société civile, mais aussi firmes, et fondation Gates) dans la fabrique des instruments globaux de la « faim dans le monde ».