Thèse soutenue

Euroméditerranée ou la ville de papier : ethnographie du monde des aménageurs

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Auteur / Autrice : Marie Beschon
Direction : Michel Agier
Type : Thèse de doctorat
Discipline(s) : Anthropologie sociale et ethnologie
Date : Soutenance le 16/10/2019
Etablissement(s) : Paris, EHESS
Ecole(s) doctorale(s) : École doctorale de l'École des hautes études en sciences sociales
Partenaire(s) de recherche : Laboratoire : Laboratoire d'anthropologie urbaine (Paris ; Ivry-sur-Seine, Val-de-Marne)
Jury : Président / Présidente : Brigitte Bertoncello
Examinateurs / Examinatrices : Brigitte Bertoncello, Florence Bouillon, Michel Lussault, Lamia Missaoui, Thierry Paquot

Résumé

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Décrétée Opération d’Intérêt National en 1995, Euroméditerranée est un projet urbain qui s’étend au Nord du centre-ville de Marseille. Revendiquant un nouvel urbanisme de processus, Euroméditerranée est présenté comme un projet pensé et mis en œuvre pour les habitants. Cependant, le résultat de ses transformations et sa rationalité donnent à voir un projet davantage pensé pour une nouvelle population. En outre, les aménageurs d’Euroméditerranée appréhendent leurs missions comme un « sacerdoce » au service d’une ville sinistrée qui ne saurait se réaliser sans Euroméditerranée. Les techniciens de l’aménagement de l’Etablissement Public d’Administration d’Euroméditerranée (EPAEM) sont prêts à « faire le bonheur de la ville malgré elle ». Ainsi reconnaissent-ils le conflit qui peut exister entre leurs prétentions « sociales » et la réalité du projet : malgré les réticences des habitants, les aménageurs savent ce dont la ville a besoin dans une société néolibérale. Néanmoins, leur « réalisme » n’épuise pas leur sensibilité. L’observation de leur quotidien montre des aménageurs conscients des limites d’Euroméditerranée pour les habitants déjà-là, voire aptes à la critique. Dans l’intimité de leurs bureaux, ils se désolidarisent de leur direction générale et dénoncent l’absence de considération pour les habitants. Comment ces sensibilités techniciennes se concilient-elles avec la machine administrative de l’EPAEM et la « thérapie de choc » Euroméditerranéenne ? Cette thèse ambitionne de rendre compte du monde des aménageurs dans leur volonté de dialogue avec les habitants à partir de leur « sensibilité sociale » et depuis les contraintes auxquelles ils ont affaire, voire qu’ils se créent, à savoir des relents d’urbanisme fonctionnaliste dans un contexte néolibéral et la croyance en un devoir moral d’agir. Organisé en trois parties qui pénètrent dans leur quotidien, depuis l’appréhension d’Euroméditerranée selon ses termes de références aux pratiques des aménageurs en passant par l’analyse de leurs représentations, mon exposé révèle un monde d’aménageurs en l’état impropres au dialogue avec la ville habitée. Incommodés par la raison néolibérale du projet, ils refusent d’affronter les impacts sociaux de leurs opérations et se consolent dans l’idée de bien faire, fussent les habitants incapables de le comprendre. L’observation de leur quotidien montre des aménageurs en position d’experts légitimes qui décident du sort de la ville dans un entre-soi technicien. A partir de diagnostics externalisés, ils gèrent des populations quantifiées et des territoires numérisés, et opèrent sur une ville qu’ils aplatissent, quadrillent et découpent au gré de leurs besoins. Néanmoins, ces techniciens n’apparaissent pas comme de simples soldats au service de ; ils se montrent actifs dans la poursuite des objectifs qu’ils peuvent intimement récriminer. Ils apparaissent coproducteurs de leurs incapacités « sociales », en assumant Euroméditerranée comme la seule alternative possible à la « crise » marseillaise, en se percevant comme ceux qui savent. Ainsi cet exposé suggère-t-il que la relation entre aménageurs et habitants relève d’un conflit pragmatique et épistémologique qui transforme la volonté initiale des aménageurs de dialoguer avec les habitants en un dialogue avec une ville de papier fictionnelle.