Thèse soutenue

Les acteurs contestataires en Turquie (2007-2014). Mémoire, marginalité, utopie

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Auteur / Autrice : Deniz Günce Demirhisar
Direction : Michel Wieviorka
Type : Thèse de doctorat
Discipline(s) : Sociologie
Date : Soutenance le 18/06/2019
Etablissement(s) : Paris, EHESS
Ecole(s) doctorale(s) : École doctorale de l'École des hautes études en sciences sociales
Jury : Président / Présidente : Hamit Bozarslan
Examinateurs / Examinatrices : Hamit Bozarslan, Antimo Farro, Marie-Claire Lavabre, Derya Firat
Rapporteurs / Rapporteuses : Antimo Farro, Marie-Claire Lavabre

Résumé

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La thèse étudie le régime de subjectivité des acteurs contestataires en Turquie afin d'interroger la nature des mouvements contemporains et les particularités de l'engagement à gauche. L'enquête qualitative qui débute avec les mobilisations consécutives à l'assassinat de Hrant Dink en 2007, se termine à la première commémoration du mouvement Gezi en 2014. Les données recueillies par entretiens et par observation auprès de plusieurs générations de militants et d'activistes sont analysées sous le prisme de la subjectivation et de la désubjectivation. Quels sont les effets des émotions, de la mémoire collective et des horizons d'attente sur la capacité d'agir des acteurs contestataires ? La première partie met en lumière la diversité des modalités d'action telles que les mobilisations de choc moral, les initiatives intellectuelles, les stratégies électorales, un festival de musique anti-guerre issu du mouvement altermondialiste. Les mobilisations qui rassemblent les générations révolutionnaires et les jeunes activistes relèvent des logiques globales de l'action collective. Les revendications de démocratie s'expriment à la fois par la transition de l'horizon révolutionnaire vers un paradigme des droits humains, et par des pratiques préfiguratives. La seconde partie examine la dialectique entre la mémoire et l'utopie dans l'imaginaire politique des acteurs. L'analyse des manifestations culturelles et politiques variées de la mémoire d'une gauche fragmentée, montre à la fois les permanences et les mutations dans les valeurs, les symboles, les habitus et le répertoire d'action. Tandis que le régime de subjectivité marqué par la défaite se transforme avec les représentations de soi comme victime de violence, les jeunes générations contribuent à l'élaboration d'une mémoire communicative. La lutte pour la démocratie se révèle aussi comme une lutte mémorielle afin de construire des récits partageables au niveau de la mémoire sociale. Conjuguée à une réflexion sur la fonction de l'utopie pour la capacité d'agir, la mémoire fait partie des outils de la grille d'analyse déployée pour étudier le mouvement Gezi de juin 2013. L'occupation du Parc Gezi révèle plusieurs caractéristiques concomitantes des mouvements contemporains, avec sa configuration affective, les dynamiques intergénérationnelles, la resymbolisation de l'espace, et la transgression des frontières symboliques de l'altérité. L'occupation du Parc Gezi est analysée comme la performance publique de l'utopie. La création de tels espaces d'expérience et de subjectivation ne présagent pas pour autant de la traduction en politique des mouvements. La marginalité et la condition minoritaire de la gauche constituent à la fois une ressource et une limite. La thèse propose une sociologie de la marginalité en contexte conservateur et autoritaire, et par là-même, la démonstration de la créativité de l'agir et de ses limites. En somme, les mouvements contemporains en Turquie comportent à la fois des composantes de mouvement social, de mouvement éthique et de mouvement d'expérience. Ils contestent les cadres historiques de l'altérité et du nationalisme par l'incarnation des pratiques démocratiques, et en créant un monde symbolique et axiologique alternatif aux orientations culturelles dominantes.