Thèse soutenue

Le vol habité dans l’économie symbolique de la construction européenne

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Auteur / Autrice : Julie Patarin-Jossec
Direction : Pascal Ragouet
Type : Thèse de doctorat
Discipline(s) : Sociologie
Date : Soutenance le 19/12/2018
Etablissement(s) : Bordeaux
Ecole(s) doctorale(s) : École doctorale Sociétés, politique, santé publique (Bordeaux)
Partenaire(s) de recherche : Laboratoire : Centre Émile Durkheim - Science politique et sociologie comparatives (Pessac, Gironde)
Jury : Président / Présidente : Antoine Roger
Examinateurs / Examinatrices : Pascal Ragouet, Antoine Roger, Marine de Lassalle, Frédéric Lebaron, Irène Bellier, Carole Sigman, Loïc Wacquant
Rapporteurs / Rapporteuses : Marine de Lassalle, Frédéric Lebaron

Résumé

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Régis par une rhétorique opposant « science » et « politique », les programmes de stations spatiales civiles sont présentés comme projets diplomatiques censés adoucir des tensions géopolitiques, justifiés par les possibilités d’expérimentation en condition de micropesanteur qu’ils octroient à la communauté scientifique et industrielle internationale. Précédée par des collaborations officieuses entre laboratoires européens et soviétiques, l’Europe de l’Ouest entre dans l’exploration spatiale habitée en 1982. Depuis, l’entraînement et le transport des astronautes de l’Agence spatiale européenne (ESA) se partagent entre les États-Unis (NASA) et la Russie (Roscosmos), dont les programmes nationaux pourvoient leur gouvernement en autonomie de lancement et de transport spatial. Au fil des décennies, alors que les agences spatiales détenant un programme habité (à l’exception de la Chine) se rejoignent dans un projet commun à partir de la fin des années 1990 (l’International Space Station), et alors que la Russie devient détentrice d’un monopole d’accès à l’espace à partir de 2011, les mécanismes symboliques et politiques structurant le programme spatial habité européen évoluent en conséquence. L’entraînement des astronautes en Russie, relatif à ce monopole des lancements habités, entraine la reproduction de traditions et rituels qui, hérités du spatial soviétique, en viennent à constituer l’armature symbolique et axiologique d’un corps d’astronautes en charge de représenter « l’unité dans la diversité » propre à l’Europe. Nourrissant des relations plus ou moins institutionnalisées avec d’anciennes républiques socialistes du fait de son autonomie (de plus en plus relative) vis-à-vis de l’Union Européenne, l’ESA devient progressivement une plateforme via laquelle le procès de restructuration des États d’Europe de l’Est entamé à la fin des années 1980 peut être analysé à l’aune des réseaux industriels, des interdépendances techniques et des échanges scientifiques qui y transitent. Afin de saisir ces relations d’interdépendances, une approche par la théorie des champs semble pertinente à deux points de vue. Tout d’abord, s’intéresser à la genèse et à l’organisation du programme spatial habité européen suppose de considérer ce dernier comme le résultat d’une trajectoire institutionnelle empruntant à différents champs : autorité cognitive de la science moderne, rôle de la production industrielle dans la construction étatique, et rapport à la territorialisation dans l’exercice d’un pouvoir politique national contribuent à la morphologie actuelle des affaires spatiales en Europe. Ensuite, une analyse bourdieusienne permet de circonscrire les vols habités comme un espace social structuré, où se convertissent, se maintiennent et se confrontent des capitaux portés par des acteurs de champs de production autonomes. L’économie des relations entre science, industrie et État, esquissée au gré de ce pari théorique, permet d’envisager certaines des conditions sociales par lesquelles les manières de « faire État » en Europe occidentale et le développement de la bureaucratie ont pu être nourris par des développements scientifiques et techniques profondément ancrés dans le temps comme dans l’espace. Mettant particulièrement en lumière la formation des habitus des astronautes de l’ESA, l’esquisse d’une théorie d’un « champ de médiation » est appréhendée, de manière à saisir les conditions de ces relations structurelles entre champs scientifique, industriel et bureaucratique dans le cas d’un secteur spatial en mutation.