Thèse soutenue

Se mêler d'histoire : Conseils et jugements de l’action politique dans l’histoire-jugement, chez Guillaume du Bellay, Martin du Bellay, Monluc et Montaigne

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Auteur / Autrice : Lionel Piettre
Direction : Francis Goyet
Type : Thèse de doctorat
Discipline(s) : Lettres et arts spécialité littératures française et francophone
Date : Soutenance le 11/12/2017
Etablissement(s) : Université Grenoble Alpes (ComUE)
Ecole(s) doctorale(s) : École doctorale langues, littératures et sciences humaines (Grenoble ; 1991-....)
Partenaire(s) de recherche : Laboratoire : Laboratoire Arts et pratiques du texte, de l’image, de l’écran et de la scène (Grenoble)
Jury : Président / Présidente : Bruno Méniel
Examinateurs / Examinatrices : Giuliano Ferretti, Jean-Louis Fournel
Rapporteurs / Rapporteuses : Jean Balsamo

Résumé

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« [M]oi, qui ne sçay rien, m’en suis voulu mesler » : Blaise de Monluc dit se « mêler » d’écrire l’histoire pour se distinguer des historiographes « lettrés », comme le font également, à la même époque, les frères du Bellay. Tous font cependant valoir leurs jugements sur l’action politique dans l’histoire : ils écrivent sur l’histoire plutôt qu’ils n’écrivent l’histoire. Ainsi Montaigne insiste, dans les Essais, sur la nécessité de savoir juger l’histoire et ses acteurs. La distinction générique qui oppose l’histoire aux Mémoires, aux « Commentaires » et aux « essais » s’avère peu opérante pour comprendre ces auteurs. Je propose d’aborder leur rapport à l’histoire sous l’angle de « l’histoire-jugement », une histoire écrite par ses acteurs, qui porte sur l’action politique (les « faits » et les « dits » dans la langue du XVIe siècle) et sur les « conseils », c’est-à-dire les intentions et délibérations des acteurs. La première partie explique l’importance qu’a prise l’histoire-jugement au temps de François Ier, en raison, d’abord, des idéologies et des pratiques de la monarchie contemporaine, puis par la « renaissance » de traditions philosophiques, rhétoriques et historiographiques qui associent le conseil au discernement (ou « discrétion »), aux discours (« concions » ou conciones) et à la franchise (ou parrêsia). Le règne de François Ier voit se nouer ces pratiques et ces traditions : les humanistes, la noblesse d’épée et l’État royal appellent de leurs vœux une histoire-jugement destinée à la formation des élites politiques. La deuxième partie montre qu’un auteur, Guillaume du Bellay de Langey, et une œuvre, ses Ogdoades, ont incarné cette aspiration, réunissant les lettres et les armes. Après avoir étudié la naissance de cette œuvre restée inachevée, j’analyse le Prologue des Ogdoades (ici édité), manifeste et méthode qui définit les rapports de la rhétorique, du jugement et de l’expérience politique dans l’historiographie ; puis j’étudie la mise en œuvre de cette méthode dans les fragments des Ogdoades. La troisième partie porte sur l’œuvre des deux plus importants héritiers de Langey : les Mémoires de son frère Martin du Bellay (qui comprennent une partie des Ogdoades) et les Commentaires de Monluc. Le discours sur l’historiographie, dans la seconde moitié du XVIe siècle, insiste sur la parrêsia de l’historien ; un tel discours n’est pas anti-rhétorique mais rejette une écriture de « clerc d’armes » parce qu’elle révèle l’inexpérience politique de l’historien. L’ars bene dicendi ne laisse pas de fasciner Martin du Bellay et Monluc, dont l’écriture se veut paradoxalement éloquente, parce que dépouillée des fastes de l’épidictique ; la parrêsia des conseils permet de dépasser l’opposition du bien dire et du bien faire à laquelle on résume souvent la poétique des Mémoires d’épée. Monluc et Martin du Bellay cherchent ainsi à comprendre la portée et les limites de leur capacité d’agir. La quatrième partie examine la place de l’histoire-jugement et l’héritage de Langey dans les Essais : on sait depuis longtemps les affinités de Montaigne avec Amyot et Bodin, mais on ignorait qu’il en eût avec les Du Bellay. La notion d’histoire-jugement permet de comprendre les jugements, synthétiques et pourtant circonstanciés, que porte Montaigne sur les acteurs de l’histoire. Cherchant dans l’histoire les voies d’une prudence lucide, l’essayiste s’interroge sur la possibilité d’agir et de parler librement, ce qui autorise à penser son rapport à la politique et à la rhétorique en termes de conseil et de « discrétion ». La conclusion esquisse un moment Guillaume du Bellay, où l’histoire fut comprise non comme une étude du passé mais comme le prolongement réflexif des délibérations des acteurs de l’histoire, comme le moyen de « dire sur ce qui peut advenir ».