Thèse de doctorat en Philosophie
Sous la direction de Didier Franck et de Rossella Fabbrichesi Leo.
Soutenue en 2014
à Paris 10 en cotutelle avec l'Università degli studi di Milano - Bicocca , dans le cadre de École doctorale Connaissance, langage et modélisation (Nanterre) .
Temps resppnsabilité et décision : Friedrich Nietzsche et Emmanuel Lévinas
Dans le présent travail, ce que nous avons tenté d’illustrer est d’un côté, la trajectoire que Nietzsche fait parcourir au thème de la responsabilité, jusqu’à son explosion dans le cadre de la pensée de l’éternel retour, à travers le thème crucial de la décision; où il y va autant d’une formidable aventure de la pensée, au-delà et à travers la philosophie même, que de la même structure de la volonté de puissance ou de sa radicale mise en question, une fois assumé et compris le rôle aussi bien constitutif qui appartient au pâtir par rapport à l’agir – là où est en jeu une ouverture originaire et indéfendue sur le monde, stupeur et effroi du regard, hospitalité de l’absolument autre, réduction et renoncement de Ego en faveur de Alter. Stupeur et effroi où se fonde donc le principe d’une nouvelle critique, qu’on a coutume de définir “généalogique”, car elle remonte à cet extrême de l’impérialisme du logos pour en enfreindre la présence et la valeur. De l’autre côté, et sur ce fondement, nous avons examiné l’axe surtout temporel d’une possible convergence entre la notion d’éternité présente chez Nietzsche et la notion de passé immémorial présent chez Lévinas, en examinant particulièrement chez ce dernier le thème-clé de la responsabilité par et pour Autrui, comme le domaine où la passivité de l’exposition coïncide plus originairement avec une dynamis qui est activité, ou mieux encore l’énergie d’un verbe, une “parole qui tranche”, là où est en jeu une profonde révision, mais aussi un bouleversement des fondements, sur lesquels se tient une entière tradition: ici aussi on assiste à une sorte de “déconstruction” qui investit l’ensemble des valeurs de notre “vieille Europe”. Dans le temps du Requiem aeternam Deo, il s’agit de savoir si dans la courbe entropique du nihilisme s’ouvre pour nous un écart, le temps d’un passage, capable de se diriger vers un approfondissement du temps présent, non plus seulement centré sur la primauté égologique du maintenant “nivelé”, mais qui soit plutôt ouverture au futur, donc “action” pour un monde qui vient, en comportant une révision radicale en sens extra-moral de la responsabilité, sans par conséquent comporter l’abolition en absolu de la loi. La responsabilité ainsi entendue précipite le formalisme kantien dans l’abîme d’une fracture inguérissable qui est ipso facto une issue en dehors de soi dans une responsabilité illimitée, placée en dehors de l’exigence primordiale de la morale, de la morale politico-juridique et, avant encore, religieuse-théologique. Le temps de la responsabilité ne serait plus un passage de présent en présent, mais un passage dans le présent, qui est la mise en mouvement du temps et la provocation à la pensée propre d’un autre commencement: exactement là, non ailleurs, dans un temps brisé, il y va en définitive du sens dernier de l’être-là humain corporel assigné à soi-même et à sa propre responsabilité, mais il y va tout d’abord d’une possible comparaison entre Nietzsche et Lévinas. Tous les deux parviennent à la même conclusion, même si par des voies différentes: si la responsabilité est un ethos qui ne peut plus s’enraciner dans la norme du langage dominant, celle-ci doit se mettre intégralement sous le signe de la promesse et de l’avenir, en opérant un bouleversement qui se joue dans le rapport violent de la totalité de l’Occident avec son autre. En d’autres termes, elle devra être approfondie dans un pathos qui est “affection” et la mise en cause du vivant à travers l’altérité de l’autre.
Time, Responsibility, and Decision : Friedrich Nietzsche and Emmanuel Levinas
In this work we have attempted to illustrate, on one hand, Nietzsche’s trajectory in navigating the theme of responsibility, leading to its widespread diffusion within the concept of eternal return, toward the critical theme of decision. This latter theme indicates a formidable venture in thought reaching beyond and through philosophy itself, even as much as the will to power’s very framework or radical line of inquiry, once a similarly constitutive role is adopted and incorporated, appertaining to suffering rather than to action. Such an enterprise sees the confrontation of several elements: an original and vulnerable new openness toward the world, met with astonishment and dismay of the gaze, the hospitality of the absolute Other, and a weakening and renunciation of Ego in favour of Alter. This astonishment and dismay form the principle basis of a new critique, usually defined as “genealogical” as it arises in the imperialistic extreme of logos to break its existence and meaning. On the other hand, using these themes as a foundation, we have examined the possible axis of convergence, primarily temporal, between Nietzsche’s notion of eternity and Levinas’s notion of immemorial past. From Levinas’s opus, we made particular examination of the cardinal theme of responsibility par e pour Autrui and how the environment in which passivity of exposure corresponds initially to a dynamis – an activity – or better yet, the energy of a verb, a “cutting speech,” embodying a profound revision and even an overturning of key principles round which an entire tradition revolves. Even here, one assists in a certain “deconstruction” which attacks all of our “old-world” values. At the time of God’s eternal rest, the question arises of whether a path will be cleared for us in the entropic curve of nihilism – a transitional period aimed at a deeper understanding of our present, no longer merely centred on the levelled, egological primacy of time, but serving above all as an opening to the future. Such a “movement” toward the approaching world would entail a revision of responsibility, radical in its extra-moral basis, thereby not requiring the complete abolition of law. Responsibility thus interpreted hurls Kantian formalism into an irreparable chasmic split: an ipso facto way outside of itself in absolute responsibility, placed beyond rudimentary demands of political-judicial ethics and religious-theological morality. Responsibility would no longer be a passage from present to present, but a passage within the present, acting as time’s very catalyst and provoking the thought of another beginning. There in a fragmented time, our awareness as entities, temporary yet in control of ourselves and of our responsibilities, is definitively put into play. So, first and foremost, is a possible confrontation between Nietzsche and Levinas. Both arrive at the same conclusion, albeit in different ways: if the ethos of responsibility can no longer be rooted in the norm of the dominant language, it must place itself fundamentally under the symbol of promise and of the future, causing an upheaval played out in the violent relationship between all of Western civilisation and its Other. That is to say, it must be deepened in a pathos of “affection” and the realisation of the human being through the “otherness” of the Other.