Thèse soutenue

Les sens du trauma

FR
Auteur / Autrice : Yann Auxéméry
Direction : Christian Hoffmann
Type : Thèse de doctorat
Discipline(s) : Psychopathologie
Date : Soutenance en 2013
Etablissement(s) : Paris 7

Résumé

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Autant du côté du soignant que du soigné, la question du sens signifiant est cardinale en psychotraumatologie. Les perceptions sensorielles initialement éprouvées lors du trauma et qui se ravivent au cœur des reviviscences paraissent faire transitoirement écran à un autre sens, celui du sens signifiant. Lors de l'instant d'effroi (peritraumatic dissociation), l’absence de sens éprouvée par le sujet est conjointement la cause et la conséquence de ce qui fait trauma. Initialement, le sujet psychotraumatisé est accaparé par des sens sensoriels dont il ne se détache plus : cette fixité tente d'éluder la question intime du sens signifiant possiblement donné à l'évènement. Le thérapeute se dégage lui aussi trop souvent de la question d'un sens singulier pour se contenter de sens convenu qui caractériserait un mécanisme traumatique théorique. Ce n'est pas parce qu'il n'y aurait pas de sens à un moment d'effroi que l'on ne peut pas lui donner du sens plus tard, au cours de la psychothérapie. Le patient comme le psychothérapeute se confronteront à la question du sens pulsionnel d’un point de faiblesse signifiant -ou d’un point pulsionnel de force signifiante- qui guide du fantasme au trauma. Un signifiant du destin peut pousser activement à la mauvaise rencontre : le trauma en lui-même est peut-être dépourvu de sens, mais ses circonstances et conditions de possibilité, de même que ses symptômes en sont chargés. De surcroit, si le trauma se structure de, part la faillite des valeurs humaines structurantes qui assuraient une sécurité de l'individu en société, la définition même du traumatisme psychique s'intègre également au cœur d'un contexte social qui permet des possibilités d'expression singulières. Le sens social du trauma et de ses symptômes a changé au cours des âges et changera encore : cette évolution doit être introjectée dans notre clinique et même devancée pour tenter de prévenir les souffrances qui s'échapperont des loges référentielles convenues, parfois irréelles. Loin d'être hors de lui-même, le réel appartient au sujet en ce sens qu'il est constitutif de l'être, de sa structure psychique mais également de sa structure biochimique. Le néant, la perte de sens, c'est alors le retour au brut de la matière, de l’atome. L'organisation des molécules en pensée permettrait de s'en dédouaner. La psychothérapie entraîne une prise de conscience sur la possibilité d'un réel pour s'échapper au maximum de son emprise : le sens du symptôme traumatique n'est pas le même que le sens du mécanisme traumatique. Si le trauma est insensé, différemment les symptômes psychotraumatiques seront chargés de sens. Comme le verbe ; le sens est typiquement humain : un vide ponctuel traumatique de mot et de sens nécessitera une reconstruction par une quête singulière qui éloignera les reviviscences traumatiques au profit d'une réinscription sociale. Découvrir, penser voire fabriquer un sens apaisera les angoisses comme les répétitions : la production du sujet est ici cardinale car elle l'éloigne des reviviscences et du retour vers la mort réelle. Au cœur de cette discussion, la science demeure descriptive : en tentant de répondre à la question comment elle s’intéresse au fonctionnement de la nature sans statuer sur la question pourquoi, laquelle est constitutive d'un sens métaphysique. Pourtant les résultats des études scientifiques rejoignent la question épistémologique du trauma en psychopathologie : l'atome, le gène ou la protéine n'ont pas de sens en eux-mêmes mais sont des éléments du réel biologique qui structure l'individu. Justement, la psychothérapie du sujet psychotraumatisé permet de s'interroger sur la nature humaine en tant que construction culturelle qui s'émancipe d'une myriade d'atomes organisés. Si la mort se fond et se confond avec le réel, la vie biologique ne connaît pas cette mort et tend vers une destinée d’autoconservation qui lui confère néanmoins un sens. Parallèlement, comme chacun vit sa vie au présent de l'immortalité : l’absence de possibilité de sa propre mort règne dans notre inconscient. Si l’inconscient génétique n'est pas superposable à l'inconscient de la psychanalyse, tous deux possèdent des fondements réels et biologiques communs. L'évènement traumatique permet au sujet de se retourner pour éprouver l’originaire de sa structure. La thématique traumatique intéresse les fondements des questionnements humains qui s'ancrent directement dans leurs origines animales : la mort, le deuil, la parentalité, la sexualité. Les fondamentaux de la culture dans leur émancipation d’avec la nature sont interrogés : l'instant traumatique est-il un retour en arrière ontogénétique de l'évolution individuelle laquelle rejouerait l'évolution des espèces ? En constatant la possibilité que chacun puisse être psychotraumatisé un jour, le traumatisme psychique se révèle aussi être un retour à l'humanité : des déterminants traumatiques sont présents en chaque homme.