Thèse soutenue

Le "De bello ciuili" de Lucain, une parole en mutation : de la rhétorique républicaine à une poétique de la guerre civile

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Auteur / Autrice : Isabelle Anne Catherine Meunier
Direction : José Kany-Turpin
Type : Thèse de doctorat
Discipline(s) : Langues et littératures anciennes
Date : Soutenance le 17/12/2012
Etablissement(s) : Paris Est
Ecole(s) doctorale(s) : Ecole doctorale Cultures et Sociétés (Créteil ; 2010-2015)
Partenaire(s) de recherche : Laboratoire : Lettres, Idées, Savoirs (Créteil) - Lettres, Idées, Savoir
Jury : Président / Présidente : Sylvie Franchet d'Espèrey
Examinateurs / Examinatrices : José Kany-Turpin, Philippe Moreau, Carlos Lévy
Rapporteurs / Rapporteuses : François Guillaumont

Résumé

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Les deux premiers chants de Lucain témoignent d’une utilisation novatrice des discours directs dans l’épopée. Présentés sous forme de triades de paroles juxtaposées –le dialogue n’est plus possible dans le monde du De bello ciuili- dont l’objectif et le genre sont similaires, ils incitent le lecteur-auditeur de l’Antiquité, rompu aux joutes oratoires des concours de déclamation, à les comparer. L’examen de deux de ces groupes de discours sert de préliminaire à une enquête plus large sur la parole rhétorique, puis sur la parole poétique.Dans la confrontation des discours de la première triade (Curion / César /Laelius, au chant I) se lit la condamnation de l’éloquence traditionnelle fondée sur des valeurs éthiques universellement partagées. Elle est supplantée par une rhétorique sophistique qui redéfinit, exclusivement en fonction des intérêts personnels de l’orateur, tout ce qui a trait au droit, au juste ou à la citoyenneté, notions problématiques dans le contexte de perversion morale du bellum ciuile. L’efficacité de cette nouvelle éloquence est signalée par le succès des trois suasoires qui sont à l’origine des grands tournants narratifs de l’œuvre : Curion décide César à entrer définitivement dans l’affrontement civil (Chant I), Cicéron pousse Pompée à donner le signal du début du combat à Pharsale (Chant VII) et Pothin persuade Ptolémée d’assassiner Magnus (Chant VIII).Dans la comparaison des trois paroles prophétiques de la fin du livre I auxquelles répondent les trois discours du début du chant suivant, effusions angoissées de Romains anonymes (les femmes, les hommes et le vieillard), se dessine un art poétique destiné à justifier les choix génériques du poète pour traiter son sujet. Conformant son œuvre à la médiocrité humaine des masses, il doit renoncer au genre tragique (discours des femmes) ainsi qu’à la célébration épique des héros (discours des hommes) et s’efforcer de proposer, à l’instar du vieillard qui se remémore le passé pour anticiper le futur (le plus long discours de l’épopée, rappelant, par sa place et son sujet, l’ilioupersis d’Enée), une épopée historique qui cherche à percer l’opacité du monde de la guerre civile, dans lequel les dieux ne sont plus anthropomorphes. Empruntant leur esthétique du déchiffrement du réel aux Piérides ovidiennes, ces poétesses humaines, rivales des divines Muses (Métamorphoses V), Lucain refonde alors la persona de son uates. Chantre d’un genre nouveau, pour une épopée renouvelée, le ‘piéridique’ uates du De bello ciuili qui ne peut plus être omniscient –puisque les pensées et les actions des superi lui sont inconnaissables- refuse le patronage des divinités traditionnelles de la poésie, promet à son ‘héros’ César, non la gloire mais l’exécration éternelle et proclame avec défi, qu’il ne devra lui-même l’éternité qu’à la seule puissance de son talent personnel, divines Muses et grands guerriers héroïques des œuvres du passé ayant été congédiés par la guerre civile.