Thèse de doctorat en Sciences du Vivant
Sous la direction de Yvon Le Maho et de David Grémillet.
Soutenue en 2005
Etude des besoins énergétiques et des tactiques prédatrices des oiseaux plongeurs ainsi que de leur capacité d'adaptation aux changements environnementaux
Les oiseaux marins sont présents sur toutes les mers du globe et dans des zones climatiques extrêmement différentes, allant des tropiques jusqu’aux régions polaires. Un grand nombre d’espèces vivent en haute mer et capturent leurs proies sous l’eau. L’élément liquide possède un énorme pouvoir de refroidissement et génère de fortes contraintes thermiques sur ces homéothermes. Ces contraintes ont certainement influencé les modes de colonisation des écosystèmes aquatiques par les oiseaux marins. Dans ces milieux hostiles, les oiseaux assurent leur survie par le biais de deux stratégies (non exclusives). (1) Augmentation de l’isolation périphérique afin de minimiser les pertes de chaleur au contact de l’eau; (2) exploitation de zones riches en nourriture afin de maximiser leurs gains d’énergie au cours de la recherche alimentaire. La combinaison de ces deux stratégies permet l’optimisation de l’efficacité énergétique au cours de la recherche alimentaire. Afin de comprendre comment les oiseaux marins se sont adaptés au milieu aquatique au cours de leur trajectoire évolutive et de définir leur rôle au sein des écosystèmes actuels, il est donc de toute première importance d’étudier les mécanismes qui régissent leurs dépenses énergétiques ainsi que leurs gains en énergie au cours de la recherche alimentaire. Au cours des deux dernières décennies, les avancées technologiques ont permis la réalisation d’un grand nombre d’études concernant le comportement alimentaire des oiseaux marins ainsi que leurs besoins énergétiques. Ces deux volets ont pourtant rarement été considérés conjointement et certains aspects fondamentaux restent négligés. Par exemple, l’effet de la pression sur l’isolation thermique et sur la flottabilité des oiseaux plongeurs, ainsi que ses conséquences sur les coûts énergétiques de la plongée n’ont pas encore été mesurés directement. En outre, le comportement prédateur des oiseaux plongeurs a principalement été déduit de mesures effectuées par des capteurs embarqués. Des observations directes et détaillées des techniques de pêche ainsi que des études de l’impact de divers facteurs biotiques et abiotiques sur ces stratégies restent extrêmement rares. Le comportement des oiseaux marins est d’autre part principalement étudié à l’échelle de l’individu. Il est cependant nécessaire et urgent de prédire les réactions des communautés d’oiseaux marins aux changements environnementaux, qu’ils soient d’origine naturelle ou anthropique. Ces stress environnementaux provoquent en effet à l’heure actuelle des changements de régime et de structure variés au sein des écosystèmes marins. Des informations détaillées concernant les processus d’acquisition et de dépense d’énergie chez différentes espèces d’oiseaux marins constituent donc la base de modèles bio-énergétiques qui permettront une approche fonctionnelle prédictive du rôle des oiseaux marins au faîte des réseaux trophiques aquatiques. La collecte de données écophysiologiques ainsi que leur synthèse dans le cadre d’exercices de modélisation, nous permettra donc de juger de la capacité d’adaptation des prédateurs marins aux changements environnementaux (tels qu’une baisse de la disponibilité des proies). Mes travaux de thèse, qui traitent de l’écophysiologie de la recherche alimentaire chez les oiseaux plongeurs ont principalement concerné les cormorans. Des études récentes ont suggéré que les coûts de la recherche alimentaire sont particulièrement élevés chez ces oiseaux, mais que ceux-ci adaptent leur comportement prédateur afin de minimiser la durée totale de la recherche alimentaire (par le biais d’une augmentation de l’efficacité prédatrice). Cette stratégie nécessite l’exploitation de ressources alimentaires particulièrement profitables (forte densité des proies et/ou grande valeur calorifique). On peut donc prédire que les cormorans seront particulièrement sensibles aux contraintes environnementales affectant les conditions de la recherche alimentaire et/ou la disponibilité des proies. Ce sont donc d’excellents modèles d’étude de l’impact de ce type de changements sur les prédateurs marins. Mes travaux de thèse s’articulent en sept chapitres. A l’issue d’une introduction générale (chapitre 1), je présente deux études de la dépense énergétique associée à la recherche alimentaire chez les oiseaux plongeurs (chapitres 2 et 3). Plus spécifiquement, j’ai étudié l’influence de la température de l’eau, de la profondeur des plongées ainsi que du statut nutritif des oiseaux sur les coûts énergétiques de la plongée chez les cormorans huppés (Phalacrocorax aristotelis) et les cormorans à aigrettes (Phalacrocorax auritus). Je détaille par la suite les comportements associés à la recherche alimentaire chez les oiseaux plongeurs (chapitres 4 et 5). Il s’agit d’une analyse détaillée des techniques de capture des poissons chez les cormorans à aigrettes et les grands cormorans (Phalacrocorax carbo) en fonction de divers paramètres biotiques et abiotiques. Enfin, je combine certains de ces résultats avec des données tirées de la littérature afin de développer un modèle bio-énergétique (chapitre 6). Ce modèle, élargi à quatre espèces d’oiseaux marins de la Mer du Nord, m’a permis de calculer leurs besoins alimentaires théoriques pendant la phase d’élevage des poussins. Il m’a également permis de tester la capacité d’adaptation de ces différentes espèces à une baisse de la disponibilité de leurs proies principales. Ces diverses études débouchent sur des conclusions et perspectives qui sont présentées dans le chapitre 7.
Avian divers are confronted with a number of physiological challenges when foraging in cold water, especially at depth. Diving is believed to be particularly costly in cormorants (Phalacrocoracidae) because of their poor insulation and less efficient foot-propulsion. I used open-circuit respirometry to study the energetic requirements of two Phalacrocorax species, the European shag (P. Aristotelis) and the double-crested cormorant (P. Auritus) when diving in a shallow (1 m) and deep (10 m) dive tank. I also investigated the modifying effects of water temperature and feeding status on dive costs. My results indicate that the energetic costs during shallow diving in European shags and double-crested cormorants are comparable to other foot-propelled divers. Metabolic rate was significantly increased when diving to greater depth and at lower water temperatures, while feeding before diving increased metabolic rate, albeit not significantly. The strong effects of depth and water temperature on cormorant diving metabolic rate are most likely a consequence of their partially wettable plumage and their reduced plumage air volume, which makes them prone to heat loss and, hence, increases thermoregulatory costs. The energetic requirements of animals have to be satisfied by intake of resources from the environment. Hence, the quest for food is a central aspect of animal behavior. Although the study of seabird foraging behaviour has greatly profited from recent technological developments, we still know little about predator-prey interactions on a fine scale. I used an underwater video array to investigate the prey-capture behaviour of double-crested cormorants foraging on live rainbow trout (Oncorhynchus mykiss). I tested the effects of a variety of factors on the underwater foraging behaviour of cormorants and established a functional link between prey density and cormorant prey capture rate. Prey density and behaviour both significantly affected predator performance. At prey densities below 2-3 g fish m-3 birds increased their search time during a trial drastically, while prey-encounter rate was greatly decreased. When cormorants attacked shoaling rather than solitary trout, their capture success was significantly reduced, while pursuit duration was significantly increased. Seabird energetics and behaviour are typically studied on the individual or species level. However, if we want to understand how seabirds react to environmental changes, we have to consider entire communities. In the western North Sea, a large seabird assemblage critically depends on a single fish species, the lesser sandeel (Ammodytes marinus), which is also exploited by an industrial fishery. I developed an algorithm to test for the capacity of four seabird species during chick-rearing in Scotland to buffer a potential decline in sandeel abundance by increasing their foraging effort in various ways. My results show that under the conditions currently operating in this region shags and guillemots (Uria aalge) may have sufficient time and energy to allow them to increase their foraging effort considerably, while Kittiwakes (Rissa tridactyla) and gannets (Morus bassanus) appear more constrained by time and energy respectively. My study suggests that during chick-rearing gannets are working at the highest metabolic level of all species considered and hence, have the least physiological capacity to increase foraging effort. This indicates that gannets could potentially be very sensitive to a reduction in sandeel abundance. My thesis emphasises the importance of taking into account seabird energetics as well as fine scale behavioural requirements, when trying to develop management schemes for fisheries that will allow the coexistence of both seabirds and human fishery in a sustainable way.