Thèse de doctorat en Littérature anglaise
Sous la direction de Gisèle Venet.
Soutenue en 2002
à Paris 3 .
Au tournant du XVIIe siècle, les quatre tragédies françaises de George Chapman (1559?-1634) offrent un des témoignages les plus forts sur les mutations politiques et philosophiques de la société anglaise. À travers la mise en scène de l'histoire contemporaine de la France d'Henri IV et d'Henri III, Chapman présente, dans toute sa brutalité, un système politique absolutiste partagé par l'Angleterre de Jacques Ier. Mais eu lieu de s'attacher aux monarques, le dramaturge oriente sa représentation vers quelques sujets exceptionnels: Bussy D'Ambois, Byron, Clermont D'Ambois et Chabot. Passionnés ou stoi͏̈ciens, il les saisit à un moment de crise politique et personnelle où ils entrent en conflit avec le roi. D'un côté, Chapman décrit sans complaisance une réalité politique tout entière fondée sur la volonté absolue du monarque libre, appuyée par un machiavélisme plus ou moins dévoyé et une raison d'État assumée; de l'autre, le désir d'autonomie du sujet, dont les aspirations individuelles et l'intégrité essentielle menacent sa survie politique et sa vie même. La tentation de désobéir au pouvoir du prince est alors très grande chez celui qui s'estime supérieur à la Loi. Pour Chapman, cette supériorité est réelle: d'ailleurs, il hisse ses protagonistes au rang de héros, dont la grandeur pourtant n'exclut ni les failles ni les contradictions internes. L'élément central de la dignité des héros chapmaniens tient à leur vraie noblesse, alliance de qualités physiques (vaillance), morales (intégrité) et intellectuelles (connaissance). En eux, on pourrait penser que l'auteur a trouvé le modèle de ce qu'il nomme lui-même "l'homme absolu", à propos de Bussy. Toutefois, malgré une volonté didactique clairement affirmée, force est de constater que ce modèle est voué à l'échec et qu'aucun des protagonistes des tragédies françaises ne survit à l'acharnement des machiavels envieux qui peuplent les Cours royales. On peut peut-être y voir la remise en question de la notion même de modèle.
George Chapman's French tragedies : from royal absolutism to the absolute man
At the turn of the seventeenth century, George Chapman's four French tragedies are one of the most significant testimonies on the political and philosophical mutations in the English society. Through the staging of the contemporary history of France under Henry III and Henry IV, Chapman presents a political system that was also favoured by James I in England: absolutism. But instead of focusing of the monarchs, the playwright highlights the personalities of a few exceptional subjects: Bussy D'Ambois, Byron, Clermont D'Ambois and Chabot. Chapman shows how they behave in a moment of political and personal crisis, which culminates in a conflict with the king. On the one hand, the author describes very ruthlessly a political reality entirely based upon on the free monarch's absolute will, on adulterated machiavellianism and on the concept of reason of State; on the other, he shows the subject's will to be autonomous while his personal aspirations and essential integrity threaten his political survival and even his life itself. The temptation to disobey the prince becomes very strong then, especially for the one who holds himself superior to the Law. Chapman considers this superiority as true; that is why he makes his protagonists heroes, whose greatness though goes together with defects and contradictions. The central element of the dignity of Chapman's heroes lies in their genuine gentility, combining physical qualities (like bravery), moral (integrity) and intellectual ones (learning). One may think that Chapman found in them the very example of what, speaking of Bussy, he calls the "absolute man". Nevertheless, in spite of his didactic approach to tragedy, one must acknowledge that his model is a failure and that none of his heroes survives the persecution of the envious Machiavellian villains that swarm in the royal Courts described by the playwright. Thence, this failure might be seen as a challenging the very notion of example itself.