Thèse de doctorat en Philosophie
Sous la direction de Clément Rosset.
Soutenue en 1995
à Nice .
Le jury était composé de Michel Haar, Francis Guibal, Jean-Paul Larthomas.
Nietzsche s'était constamment opposé à la métaphysique sans déraciner pour autant son propos du domaine de la philosophie. Ce paradoxe de l'anti-philosophie encore philosophique accomplit, malgré Heidegger, l'idée platonicienne de "gigantomachie" et esquive lucidement les deux figures pascaliennes de l'excès (exclure la raison ou n'admettre qu'elle). En se voulant "philosophe à part entière" tout en se considérant "philosophe à part", Nietzsche hissait au niveau de la pensée la tension qui marqua, durant sa vie solitaire, ses rapports complexes avec l’Allemagne. Pour lui, "être un bon allemand, c'est se dépouiller du germanisme". Ainsi, "l'esprit libre" de toute servitude idéologique dessine dans l'espace de la pensée, le portrait indécidable du voyageur "sans-patrie" dans le monde de la vie. La vie et la pensée de Nietzsche témoignent d'une unité qui invite les interprètes d'ordinaire partisans et pressés, à considérer patiemment, à comprendre ce paradoxe de l'appartenance distante. De Heidegger aux écoles françaises, la réception de Nietzsche se fait sur un mode caricatural, exclusif : le propos nietzschéen est tantôt réduit à accomplir-achever l'épopée du platonisme qu'il tournait pourtant en dérision, tantôt "déporté" du domaine philosophique vers celui des idéologies politiques ou mystiques. Cette étude propose non seulement d'élucider la double dérive idéologique de l'interprétation de Nietzsche, mais aussi de montrer que le malaise qu'elle manifeste invite le lecteur à retrouver, par-delà la mauvaise foi des "ruminants universitaires", le "différentialisme", l'enthousiasme délirant des interprètes révolutionnaires, le mode paradoxal de "l'enracinement" de la critique nietzschéenne dans la tradition philosophique. Soutenu par un sens musical de la mesure et un souci généalogique de l'harmonie, le propos nietzschéen se "rapporte" constamment aux différentes écoles en concurrence dans l'histoire de la philosophie tout en se montrant irréductible à aucune d'elles, "inclassable" parce que prompt à conjurer la démesure inhérente à tout esprit de système
Community and solitude in Nietzsche : Nietzsche, an original and complete philosopher
Nietzsche refused to be considered as a metaphysician but this in no way implies his uprooting from the field of philosophy. Despite heidegger's opinion, this paradox (i. E. To be a philosopher, but not to be a metaphysician) serves the platonian theory of "gigantomachia" in the same way as Nietzsche thwarted the two kinds of excesses described by Pascal : either idolizing reason or rejecting it. His being a full-fledged philosopher did not eclipse the oddness of his thinking. Nietzsche successfully transferred his ambiguous germanism to the philosophical level. According to him, "being a good german paradoxically implies some degree of freedom from germanism" on the individual's part. Thus, the "free mind" (i. E. Released of all ideological slavery) draws and reproduces, in the area of thought, the fading portrait of the homeless traveler in the social existence. Nietzsche's life and thought are so inextricably intertwined that a time-consuming interpretation is highly preferable to any biased reading. Ranging from Heidegger to the french schools, Nietzsche's philosophy is often interpreted in an exclusive and ideological way. Some consider it as the ultimate achievement of platonism even though this metaphysics was constantly mocked by nietzsche himself. While others suggest such an exaggerated discrepancy between his outlook and the philosophical tradition that he is finally labelled either a politician, a mystic thinker or a deranged individual. This following study proposes to highlight and to question these two kinds of caricatures; then to bring out the general feeling of discom fort inherent to the interpretation of nietzsche's thought. It should be read as a way of calling hasty reader's attention to prudence and patience. Consequently, an ideal reading should go beyound the interpreter's bad faith, dogmatism or exegetic arrogance to understand how the nietzschean dispute is paradoxically (and musically) rooted in the philosophical tradition