« God Bless San Andres » : Esclavage, double colonisation et ethnicité post-émancipation dans la Caraïbe « colombienne »

"God Bless San Andres" : Slavery, double colonization and post-emancipation ethnicity in the "Colombian" Caribbean.

"God Bless San Andres" : Esclavitud, doble colonización y etnicidad post-emancipación en el Caribe "colombiano".

• Auteur / Autrice : Morgane Le Guyader
• Direction : Justin Daniel, Christine Chivallon
• Type : Thèse de doctorat
• Discipline(s) : Science politique
• Date : Soutenance le 29/06/2022
• Etablissement(s) : Antilles
• Ecole(s) doctorale(s) : École doctorale Milieu insulaire tropical : dynamiques de développement, sociétés, patrimoine et culture dans l'espace Caraïbes-Amériques (Pointe-à-Pitre)
• Partenaire(s) de recherche : Equipe de recherche : Laboratoire caribéen de sciences sociales, Equipe de recherche, 197693024
• Partenaire(s) de recherche : Laboratoire : Laboratoire caribéen de sciences sociales
• Jury : Président / Présidente : Jean-Pierre Dozon
• Jury : Examinateurs / Examinatrices : Jean-Pierre Dozon, Catherine Wihtol de Wenden, Elisabeth Cunin, Capucine Boidin-Caravias
• Jury : Rapporteurs / Rapporteuses : Catherine Wihtol de Wenden, Elisabeth Cunin

Mots clés

Mots clés contrôlés

San Andrés y Providencia (Colombie)

Mots clés libres

San Andres

Raizal

Raïzalité

Double colonisation

Post-émancipation

Ethnicité

Esclavage

Résistance

San Andres

Raizal

Raizality

Double colonization

Post-Emancipation

Ethnicity

Slavery

Resistance

San Andres

Raizal

Raizalidad

Doble colonización

Post emancipación

Etnicidad

Esclavitud

Resistencia

Résumé

À partir de la fin du 18ème siècle, une petite société plantationnaire de coton est établie sur l’archipel de San Andres et Old Providence, situé à l’intersection des côtes nicaraguayennes, du Sud de la Jamaïque et du Nord de la Colombie. Entre 1834 et 1851, celle-ci se démantèle au cours du processus d’émancipation sous l’autorité du pasteur baptiste Philippe Beekman Livingston, descendant du principal négrier écossais de ces îles et issu d’une famille d’esclavagistes installée sur l’île d’Old Providence et à la Jamaïque. De son projet missionnaire s’apparentant au concept baptiste jamaïcain de Free Village, naît une société insulaire afro-anglo-créole « post-émancipation » fondée sur une idéologie égalitariste et dont le déploiement s’accélère à la fin du 19ème siècle. Si l’impitoyable rivalité entre les empires coloniaux a conduit la majorité des territoires caribéens à être successivement et/ou simultanément colonisés par les Britanniques et les Espagnols (entre autres), cet archipel se confronte, à partir du début du 20ème siècle, au prolongement du paradigme colonial cette fois incarné par la Colombie. Le gouvernement central colombien initie alors une politique d’acculturation par assimilation auprès de cette communauté insulaire jugée trop « afro », trop « antillaise » et trop « protestante » pour l’identité nationale que les élites politiques cherchent à affirmer. Localement connue comme la « colombianisation », cette politique assimilationniste reste aujourd’hui synonyme du traumatisme communautaire le plus explicite. Sur l’île de San Andres, à partir des années 1950, de profonds bouleversements démographiques, économiques, territoriaux, et socio-culturels sont annonciateurs d’un point de non-retour. Ne représentant plus que 30% de la population insulaire de l’île de San Andres, la minorisation de la communauté afro-anglo-créole, devient ainsi, à partir de la seconde moitié du 20ème siècle, l’expression la plus contemporaine du phénomène de double colonisation inhérent à la condition historique et politique de l’archipel.Ce phénomène de « dépossession » représente l’un des facteurs majeurs du processus identitaire contemporain des héritiers de la société livingstonienne, institutionnellement inauguré dans les années 1990 par la revendication communautaire d’une catégorie ethnique et autochtone : la catégorie raizal. Au-delà des approches inter-ethniques et généalogiques de l’émergence de la catégorie raizal, la thèse vise à comprendre les enjeux ontologiques de ce processus identitaire post-esclavagiste et postcolonial. Elle interroge son caractère « racinaire », bâti sur la mémoire du processus d’émancipation intrinsèquement reliée à la mémoire communautaire des terres, et dont le récit de la genèse puise dans la figure profondément paradoxale du pasteur Beekman Livingston, érigé en mythe fondateur de la communauté.En dépit de l’apparente insignifiance qui lui est souvent attribuée, en quoi la raïzalité est-elle l’éminente manifestation du récit moderne d’une inquiétude résistante d’exister ? Dans quelle mesure la raïzalité constitue-t-elle une réponse singulière à l’expérience violente de la dépossession ? Pourquoi dépasse-t-elle amplement les frontières de cet archipel injustement effacé de la carte régionale et mondiale des luttes d’existence contre-hégémoniques ?

From the end of the 18th century, a small cotton plantation society was established on the archipelago of San Andres and Old Providence, located at the intersection of the Nicaraguan Coast, southern Jamaica and northern Colombia. Between 1834 and 1851, this settlement was dismantled during the process of emancipation under the authority of the Baptist minister Philip Beekman Livingston, descendant of the main Scottish slave trader of both islands and from a family of slavers settled on Old Providence Island and Jamaica. From his missionary project, similar to the Jamaican Baptist concept of Free Village, was born a « post-emancipation » Afro-Anglo-Creole society based on an egalitarian ideology, whose deployment accelerated at the end of the 19th century. If the ruthless rivalry between colonial empires led the majority of Caribbean territories to be successively and/or simultaneously colonized by the British and the Spanish (among others), this archipelago was confronted, from the beginning of the 20th century, with the extension of the colonial paradigm, this time incarnated by Colombia. The Colombian central government then initiated a policy of acculturation by assimilation with this island community considered too « Afro », too « West Indian » and too « Protestant » for the national identity that the political elites were then trying to assert. Locally known as « Colombianization », this assimilationist policy remains today synonymous with the most explicit community trauma. On the island of San Andres, starting in the 1950s, profound demographic, economic, territorial, and socio-cultural upheavals were the harbingers of a point of no return. Representing only 30% of the island population of San Andres, the minorization of the Afro-Anglo-Creole community became, from the second half of the 20th century, the most contemporary expression of the phenomenon of double colonization inherent to the historical and political condition of the archipelago. This phenomenon of « dispossession » represents one of the major factors of the contemporary identity process of the heirs of the Livingstonian society, institutionnaly inaugurated in the 1990s by the community claim of an ethnic and indigenous category : the Raizal category. Beyond the inter-ethnic and genealogical approaches to the emergence of the Raizal category, the thesis aims to understand the ontological stakes of this post-slavery and postcolonial identity process. It questions its « root » character, built on the memory of the emancipation process intrinsically linked to the community memory of the land, and whose genesis is narrated by the paradoxical figure of Pastor Beekman Livingston, erected as the founding myth of the community. Despite the apparent insignificance often attributed to it, in what ways is Raizality a prominent manifestation of the modern narrative of a resistance to exist ? To what extent does Raizality constitute a singular response to the violent experience of dispossession ? Why does it go far beyond the borders of this unjustly erased archipelago on the regional and global map of counter-hegemonic struggles for existence ?

Desde finales del siglo XVIII, se estableció una pequeña sociedad de plantación de algodón en el archipiélago de San Andrés y Old Providence, situado en la intersección de la costa nicaragüense, el sur de Jamaica y el norte de Colombia. Entre 1834 y 1851, esta última fue desmantelada durante el proceso de emancipación bajo la autoridad del pastor bautista Philip Beekman Livingston, descendiente del principal comerciante de esclavos escocés de estas islas y de una familia de esclavistas asentada en la isla de Old Providence y en Jamaica. Su proyecto misionero, similar al concepto bautista jamaicano del Free Village, dio lugar a una sociedad insular afro-inglesa-kriol "post-emancipación" basada en una ideología igualitaria, que se aceleró a finales del siglo XIX. Mientras que la despiadada rivalidad entre los imperios coloniales hizo que la mayoría de los territorios del Caribe fueran colonizados sucesiva y/o simultáneamente por británicos y españoles (entre otros), este archipiélago se enfrentó, desde principios del siglo XX, a la extensión del paradigma colonial, esta vez encarnado por Colombia. El gobierno central colombiano inició entonces una política de aculturación a través de la asimilación de esta comunidad insular, considerada demasiado "afro", demasiado "antillana" y demasiado "protestante" para la identidad nacional que las élites políticas pretendían afirmar. Conocida localmente como "colombianización", esta política de asimilación sigue siendo hoy en día sinónimo del trauma comunitario más explícito. En la isla de San Andrés, a partir de los años 50, los profundos cambios demográficos, económicos, territoriales y socioculturales anunciaron un punto de no retorno. Con sólo el 30% de la población de la isla, la minorización de la comunidad afro-anglo-kriol se convirtió, a partir de la segunda mitad del siglo XX, en la expresión más contemporánea del fenómeno de la doble colonización inherente a la condición histórica y política del archipiélago. Este fenómeno de "desposesión" representa uno de los principales factores del proceso identitario contemporáneo de los herederos de la sociedad livingstoniana, inaugurado institucionalmente en los años 90 por la reivindicación comunitaria de una categoría étnica e indígena: la categoría raizal. Más allá de las aproximaciones interétnicas y genealógicas a la emergencia de la categoría raizal, la tesis pretende comprender las apuestas ontológicas de este proceso identitario post-esclavista y post-colonial. Cuestiona su carácter de "raíz", construido sobre la memoria del proceso de emancipación intrínsecamente ligado a la memoria comunitaria de la tierra, y cuya génesis es narrada por la figura profundamente paradójica del pastor Beekman Livingston, erigido en mito fundacional de la comunidad.A pesar de la aparente insignificancia que a menudo se le atribuye, ¿de qué manera la raizalidad es la manifestación prominente de la narrativa moderna de una necesidad vital y resistente de existir ? ¿En qué medida la raizalidad constituye una respuesta singular a la experiencia violenta del despojo? ¿Por qué va más allá de las fronteras de este archipiélago injustamente borrado en el mapa regional y mundial de las luchas contrahegemónicas por la existencia?