Thèse soutenue

L’urbanité sonore : auditeurs, circulations musicales et imaginaires afro-atlantiques entre la cité de Léopoldville et Sophiatown de 1930 à 1960

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Auteur / Autrice : Charlotte Grabli
Direction : Myriam Cottias
Type : Thèse de doctorat
Discipline(s) : Histoire et civilisations
Date : Soutenance le 21/10/2019
Etablissement(s) : Paris, EHESS
Ecole(s) doctorale(s) : École doctorale de l'École des hautes études en sciences sociales
Jury : Président / Présidente : Didier Nativel
Examinateurs / Examinatrices : Didier Nativel, Mamadou Diouf, Nancy Rose Hunt, Éloi Ficquet, Maëline Le Lay, Elikia MBokolo
Rapporteurs / Rapporteuses : Mamadou Diouf, Nancy Rose Hunt

Résumé

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Cette thèse examine les rapports entre musique et politique dans l’espace de circulations musicales s’étendant entre Sophiatown, à Johannesburg, en Afrique du Sud, et la « cité indigène » de Léopoldville (aujourd’hui Kinshasa), au Congo belge, de 1930 à 1960. L’étude envisage à la fois la fabrique musicale de ces quartiers ségrégués – l’usage des nouvelles technologies d’écoute, l’appropriation des styles afro-atlantiques, la profusion des fêtes et la vie des bars – et la formation de l’espace transcolonial de la musique congolaise moderne, mieux connue sous le nom de « rumba congolaise », à l’ère de la radio. Bien que souvent occulté, le développement précoce de l’industrie musicale sud-africaine joua un rôle important dans l’émergence et la mobilité des premières célébrités médiatiques congolaises qui parcouraient les routes transimpériales entre Léopoldville, Elisabethville (Lubumbashi), Nairobi et Johannesburg. Étudiés conjointement, l’ancrage et le déploiement de ce que nous appelons l’« urbanité sonore » permettent d’éclairer la place des célébrités et chansons transcoloniales dans l’imaginaire politique des auditeurs africains. Ces phénomènes témoignent également des nouvelles possibilités d'émancipation que l'économie des plaisirs offraient aux catégories les plus marginalisées de la ville coloniale, telles que les « femmes libres » et/ou membres des sociétés d'élégance.A la cité de Léopoldville, comme à Sophiatown, auditeurs, danseurs et musiciens contestaient la définition coloniale de l’urbanité alors que le gouvernement monopolisait la définition de « la ville », en même temps qu’il en conditionnait l’accès, symbolique et concret. Jusqu’au lendemain de l’Indépendance du Congo en 1960, la scène musicale de la cité s’établit comme le principal espace d’expression politique et d’affirmation de la place du Congo moderne dans l’Atlantique noir.L’étude considère ainsi la musique dans la continuité de l’écologie sonore de la ville afin d’« écrire le monde depuis une métropole africaine ». Il ne s’agit pas seulement de penser la musique en contexte, mais aussi comme contexte, en tant que paysage, en l’étendant au-delà de la performance pour inclure les différents jeux d’échelle qui façonnaient les mondes musicaux. Pour comprendre la dimension politique des échanges afro-atlantiques impliqués dans la création de la rumba congolaise – un style africain né de l’écoute des musiques afro-cubaines –, il importe de prendre en compte le contexte de globalisation des modes d’écoute et de l’ethnicité. A une époque où le nationalisme racialisé des États-Unis façonnait la compréhension du jazz, comment repenser l’opposition d’une « Afrique latine » à une « Afrique du jazz », dont les pôles respectifs se situeraient à Johannesburg et Léopoldville ? Cette thèse cherche à déconstruire ces représentations tout en observant la puissance d’agir de la musique noire – « sa réalité et son inexistence » – en fonction des contextes, des acteurs et des lieux.