Thèse en cours

LA CONDITION NUMÉRIQUE DU JOURNALISME : DES FORMES DE RATIONALISATION À LA POLITISATION D'UNE PRESSE ALTERNATIVE PROFESSIONNELLE

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Auteur / Autrice : Julien Deschamps
Direction : Benoit Lafon
Type : Projet de thèse
Discipline(s) : Sciences de l'Information et de la Communication
Date : Inscription en doctorat le 03/09/2018
Etablissement(s) : Université Grenoble Alpes
Ecole(s) doctorale(s) : École doctorale langues, littératures et sciences humaines
Partenaire(s) de recherche : Laboratoire : Groupe de recherche sur les enjeux de la communication (Grenoble)

Résumé

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Notre travail s'est construit sur la volonté d'observer les formes de rationalisations présentes dans la presse quotidienne nationale. Pour cela, nous avons procédé à un état de l'art sur les différentes dimensions des entreprises de presse dans leur transition vers le numérique. Il a été important de comprendre le fonctionnement de celles-ci en respectant leurs spécificités quant à leurs modèles d'affaires, à la structure du marché publicitaire, de l'économie numérique et de l'infomédiation. L'un des points structurant des entreprises étudiées sont leurs difficultés financières qui les amènent à des restructurations importantes et produisent des mouvements de capitaux, dont leur rachat, entre 2014 et 2016. De tels virages financiers accentuent la situation de la « firme tirant leurs moyens des marchés financiers » (Pradié, 2005 : 88). En conséquence, les entreprises de presse sont amenées dans un mode de raisonnement fondé sur un « logos gestionnaire [qui] s'énonce à travers les démarches, les techniques, outils qui forment la trace matérielle de la gestion » (Boussard, 2008 : 84). Ces démarches de gestion et ces réorganisations touchent fortement la cohérence des organisations pour les journalistes dans une période où ni les usages numériques ne sont formés, et ni les modèles d'affaires ne sont efficients. Dans cette période, ce qui a pu paraître cohérent en termes de production a été de suivre des indicateurs de performance. Directement issus de l'activité publicitaire (Ouakrat, 2011, 2012), ils trahissent la visée éditoriale et amènent des logiques hétéronomes au champ journalistique venant encadrer la production d'information en ligne (Smyrnaios, 2018). En témoigne, par exemple, l'objet de « briefings matinaux » : « cette réunion le matin consiste alors un peu à débriefer très rapidement, ça aussi c'est un changement... on débriefe un peu les audiences de la veille alors qu'avant on débriefait le journal du jour. On disait : « tel sujet, super » ou « ça, on aurait dû le faire autrement ». Maintenant on va parler d'audience. Maintenant on va dire : « tel papier a fait tant de vues, ou a généré tant d'abonnement sur notre site » (journaliste au Parisien). La concurrence entre titres de presse sur internet s'est trouvée exacerbée lorsque la production de biens informationnels s'est standardisée, et ce en lien avec le rôle majeur de l'infomédiation et du référencement, mais également des réseaux sociaux et de leur tendance à orienter l'actualité. Il s'agit en partie d'une « course à l'audience avec la conviction qu'il y aurait quelques marques majeures qui pourraient remporter la mise publicitaire [...] Le numérique est associé, ou en tout cas était associé à la notion de gratuité. Le modèle repose donc sur la publicité, et la publicité repose sur la quantité de pages vues (ancien rédacteur en chef à L'Express, fondateur de Médiacités) ». Au sein du groupe professionnel des journalistes, nous mettons en avant un phénomène de segmentation du monde du journalisme. Celui-ci est à la fois cause et conséquence d'un double management. D'un côté, une production web fortement pressurisée qui a tendance à remplacer les fins par les moyens (produire des indicateurs devient une des finalités), et de l'autre, une production papier fortement éprise d'anciennes valeurs liées à l'édition, relativement emmurée. Survient alors une divergence des finalités, une forme de résistance qui s'exprime dans des expressions telles que « gap générationnel » alors que, comme nous le verrons, la variable générationnelle n'est pas suffisante pour expliquer ce phénomène. Une autre expression est celle de « nouveau et ancien monde », mais elle aussi masque la réalité d'une polarisation de la production et la complexité de ses conséquences. Des nouveaux modèles d'affaires sont expérimentés en même temps que l'on constate d'essor de médias "alternatifs", issus d'une partie des journalistes qui ont connu les différentes formes de rationalisation, de rachats, et de restructurations. Le dernier point concerne les liens qu'entretiennent ces médias alternatifs entre eux, avec des collectifs et se structurent. L'un des enjeux les plus importants est la politisation des intérêts de ces médias. En 2009, date à laquelle se déroule les États généraux de la presse, le numérique est encore vécu « plus comme un pis-aller que comme une véritable stratégie » par la grande majorité de la profession. En témoigne l'absence d'un statut à part entière pour les éditeurs 100% numérique et une TVA inégalitaire de 20% pour la production en ligne et 2,1% pour la production papier. Les éditeurs traditionnels ne trouvent pas intérêt à défendre une TVA réduite pour une production éditoriale qu'ils mettent à disposition gratuitement. Se fédèrent une dizaine d'éditeurs numériques autour de Mediapart, Indigo Publications et Arrêt Sur Image pour la création du Syndicat de la Presse Indépendante en ligne (Spiil). La lutte pour la TVA et la transparence des aides publiques, au-delà de la pérennisation de « bonnes pratiques » et de critères réunissent les membres de ce syndicat.