Thèse soutenue

L'étreinte de la dette : une ethnographie de l'endettement des milieux populaires de Vitoria (Brésil, Espirito Santo), au sein et au-delà des favelas

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Auteur / Autrice : Timothée Narring
Direction : Isabelle GuérinBlandine Destremau
Type : Thèse de doctorat
Discipline(s) : Sociologie
Date : Soutenance le 05/12/2022
Etablissement(s) : Université Paris Cité
Ecole(s) doctorale(s) : École doctorale Sciences des sociétés (Paris ; 2019-....)
Partenaire(s) de recherche : Laboratoire : Centre d’études en sciences sociales sur les mondes africains, américains et asiatiques (Paris ; 2014-....)
Jury : Président / Présidente : Marie-Caroline Saglio-Yatzimirsky
Examinateurs / Examinatrices : Isabelle Guérin, Blandine Destremau, Marie-Caroline Saglio-Yatzimirsky, Jeanne Lazarus, Federico G. Neiburg, Cibele Saliba Rizek, Gabriel de Santis Feltran
Rapporteurs / Rapporteuses : Jeanne Lazarus, Federico G. Neiburg

Mots clés

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Résumé

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Cette thèse vise à analyser les effets de l'expansion du crédit sur les milieux populaires brésiliens. Elle repose sur l'ethnographie des circulations de dettes au sein et au-delà de trois favelas de Vitoria (Espirito Santo). Pour la réaliser, j'ai habité dans trois familles et joué dans les équipes de football locales pendant 14 mois, répartis entre 2016 et 2021. A l'inverse de l'époque de croissance et de création d'emplois formels qui contribue au boom du crédit de 2003 à 2014, la conjoncture économique se dégrade depuis la récession économique (2014-2015) jusqu'à la pandémie de Covid-19 (2020-2022). Les familles sont confrontées à la baisse des revenus du travail, au poids croissant des dettes et des intérêts ainsi qu'à l'inflation des denrées alimentaires. Dans le même temps, les institutions financières enregistrent des profits élevés grâce au ciblage du crédit sur les milieux populaires qui l'utilisent pour financer les dépenses de logement, d'alimentation et de santé. Les contradictions entre la reproduction sociale des familles et l'accumulation financière s'intensifient donc au cours de cette période. Comment l'exacerbation de ce paradoxe socio-reproductif (Fraser, 2017) peut-elle être atténuée ? Qui paie le coût de ce paradoxe en termes de travail gratuit, de fatigue mentale et émotionnelle ? Comment les familles parviennent-elles à « joindre les deux bouts » ? A quel point le train de la reproduction sociale des familles se contracte pour dégager toujours plus de quoi assurer la reproduction de l'économie financière ? Pour répondre à ces questions, l'ethnographie met en évidence deux explications possibles. La première concerne l'amplification des dépendances intergénérationnelles. Sous l'effet des politiques sociales et de crédit du début des années 2000 (Lavinas, 2017), les personnes âgées sont devenues les pourvoyeurs de revenus et de crédits d'un certain nombre de leurs enfants et de leurs petits-enfants. Pour compenser l'appauvrissement des familles, elles jonglent entre de multiples dettes et s'activent au sein et au-delà de la maison pour dégager des revenus supplémentaires, destinés au paiement des dettes. Ce travail de la dette et pour la dette est polarisé chez les femmes (Guérin, 2022), notamment les grands-mères. En même temps qu'il protège et concrétise les aspirations de leurs proches, il contribue de manière essentielle à la reproduction de l'accumulation financière. Pour « tenir », les familles mobilisent également des stratégies et des dispositifs de temporisation du paiement des dettes. L'ethnographie souligne la capacité des débiteurs à jouer sur le temps en retardant le paiement des dettes domestiques et de certaines dettes de proximité. Elle explore aussi les foires de renégociation des dettes au cours desquelles débiteurs et créditeurs s'accordent sur le rééchelonnement des dettes, impayables en l'état actuel, sur une période allongée. Un nouveau compromis sur le temps est alors scellé. Les foires permettent de desserrer l'étreinte financière tout en renouvelant les liens de clientèle et les contrats de crédit. Elles contribuent donc à la réintégration des débiteurs au sein du gouvernement par la dette au sens où leur temps sera à nouveau contrôlé par la dette (Lazzarato, 2012).