Entrer en agriculture biologique : sociologie politique dâune professionnalisation sous contrainte (1945-2015)
Auteur / Autrice : | FreÌdeÌric Nicolas |
Direction : | Nicolas Renahy |
Type : | ThÚse de doctorat |
Discipline(s) : | Sociologie, démographie |
Date : | Soutenance le 08/11/2018 |
Etablissement(s) : | Bourgogne Franche-Comté |
Ecole(s) doctorale(s) : | Ăcole doctorale Droit, Gestion, Economie et Politique (Dijon ; Besançon ; 2017-....) |
Partenaire(s) de recherche : | Laboratoire : Institut national de la recherche agronomique (France). Centre d'économie et sociologie appliquées à l'agriculture et aux espaces ruraux (Dijon) |
établissement de préparation : Université de Bourgogne (1970-2024) | |
Jury : | Président / Présidente : Claude Compagnone |
Examinateurs / Examinatrices : Nicolas Renahy, Claude Compagnone, Antoine Roger, Manuel Schotté, Florence Weber, Christophe Bonneuil | |
Rapporteurs / Rapporteuses : Antoine Roger, Manuel Schotté |
Mots clés
Résumé
Comment se fabriquent les vocations agrobiologiques ? Si lâĂ©mergence, lâinstitutionnalisation et la transformation de lâagriculture biologique en objet dâaction publique laissent Ă penser quâun segment professionnel sâautonomise, notre enquĂȘte montre que les agriculteurs biologiques ne peuvent entiĂšrement Ă©chapper Ă lâaction de la profession et de lâencadrement agricoles ainsi quâaux systĂšmes de classement produits par leurs pairs. DerriĂšre lâenjeu technique qui consiste Ă produire sans intrants de synthĂšse se jouent en effet des luttes pour dĂ©finir et contrĂŽler le titre dâagriculteur. Ces luttes se jouent Ă un niveau institutionnel et interpersonnel et ont pour effet de dĂ©limiter les frontiĂšres du territoire professionnel. De ce point de vue, la figure de « lâagriculteur professionnel » (pratiquant une agriculture Ă temps complet, intensive et spĂ©cialisĂ©e) continue Ă structurer lâĂ©conomie morale du groupe professionnel et son segment agrobiologique : la sĂ©lection et la hiĂ©rarchisation des reprĂ©sentants, des encadrants et des producteurs sâopĂšrent alors en fonction de leur plus ou moins grand ajustement Ă cette forme dâagriculture. DĂšs les annĂ©es 1950, la sĂ©lection des dirigeants agrobiologiques sâopĂšre sur leur acceptation de la division de plus en plus rĂ©glĂ©e des tĂąches de reprĂ©sentation, de conception, dâencadrement et de production. Câest ce que nous montrons dans un premier temps Ă partir de lâanalyse des archives de la sociĂ©tĂ© Lemaire-Boucher et des archives personnelles de Raoul Lemaire, Ă la fois producteur, boulanger, entrepreneur, sĂ©lectionneur et homme politique. Lâhomme Ă©choue dans sa croisade morale en faveur de lâagriculture biologique prĂ©cisĂ©ment parce quâil se situe Ă lâintersection dâespaces occupĂ©s par des agents de plus en plus spĂ©cialisĂ©s. Ă partir dâentretiens semi-directifs, dâobservations directes et dâun questionnaire auprĂšs du personnel scientifique et technique participant au contrĂŽle des vocations agrobiologiques, nous analysons ensuite ce contrĂŽle, qui sâopĂšre Ă bas bruit et de maniĂšre indirecte depuis les annĂ©es 1980. La focale portĂ©e sur le processus dâinstitutionnalisation du segment et sur les logiques de recrutement et de travail des agents dâencadrement permet de montrer que la sĂ©lection des agriculteurs biologiques sâopĂšre dâabord par la sĂ©lection de ceux qui les sĂ©lectionnent. De ce point de vue, lâĂ©mergence dâune nouvelle forme dâagriculture nâentraĂźne pas mĂ©caniquement lâĂ©mergence dâun espace dâencadrement autonome : dâun cĂŽtĂ©, la construction de lâagriculture biologique comme objet de recherche lĂ©gitime contribue Ă isoler les chercheurs des agriculteurs â et donc Ă renforcer les effets du processus de professionnalisation â ; dâun autre cĂŽtĂ©, lâinstitutionnalisation de lâagriculture biologique contribue Ă la naissance dâun appareil dâencadrement dual reposant sur une division morale du travail, entre des organisations et agents dâencadrement favorisant la reproduction de la figure de lâagriculteur professionnel et dâautres dont lâaction consiste Ă mĂ©nager des espaces oĂč lâhĂ©tĂ©rodoxie reste possible.Le contrĂŽle des vocations agrobiologiques sâopĂšre aussi entre agriculteurs, comme lâanalyse la troisiĂšme partie, basĂ©e sur une enquĂȘte Ă dominante ethnographique en Midi-PyrĂ©nĂ©es. Nous y montrons que les coĂ»ts dâentrĂ©e, de sortie et de maintien en agriculture biologique sont diffĂ©renciĂ©s selon lâorigine et la trajectoire sociales des agriculteurs, mais Ă©galement selon la valeur de leur patrimoine de ressources au sein du groupe professionnel agricole. Tant leurs choix professionnels que leur style de vie sont Ă©valuĂ©s Ă lâaune de lâidĂ©al modernisateur et professionnel de lâaprĂšs-guerre. DĂšs lors, lâorigine agricole, le capital symbolique procurĂ© par le diplĂŽme dâagronome, les ressources dâautochtonie, le capital Ă©conomique et le patrimoine sont autant de ressources qui permettent Ă certains agriculteurs biologiques dâĂȘtre considĂ©rĂ©s comme de « bons professionnels ».