Thèse soutenue

Quelque part où « le sexe n’existe pas » : pratiques fictionnelles, théoriques et questions de genre chez Nathalie Sarraute et Monique Wittig

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Auteur / Autrice : Chloé Jacquesson
Direction : Dominique Carlat
Type : Thèse de doctorat
Discipline(s) : Littérature française
Date : Soutenance le 06/04/2018
Etablissement(s) : Lyon
Ecole(s) doctorale(s) : École doctorale Lettres, langues, linguistique, arts (Lyon)
Partenaire(s) de recherche : Equipe de recherche : Passages XX-XXI (Lyon ; 2007-....)
établissement opérateur d'inscription : Université Lumière (Lyon ; 1969-....)
Jury : Président / Présidente : Dominique Massonnaud
Rapporteurs / Rapporteuses : Ann Jefferson

Mots clés

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Résumé

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Au carrefour des études littéraires et des études de genre, cette thèse propose une étude comparée des œuvres fictionnelles et théoriques de Nathalie Sarraute et de Monique Wittig dans une perspective de genre. Articulant une approche interne, centrée sur leurs poétiques, et une approche externe, attentive à leurs postures et à leurs trajectoires dans un espace littéraire genré, elle examine les places du « neutre » et de l’« universel » dans leurs entreprises littéraires et leurs stratégies de résistance aux catégories du masculin et du féminin. Quelques moments saillants dans les trajectoires de Nathalie Sarraute et de Monique Wittig, ainsi que quelques-uns des principaux aspects de leur relation objective, entre amitié et filiation, sont évoqués dans le prologue. La première partie rend compte de ce que les pratiques d’écriture des deux auteurs s’appuient sur un effort pour penser les pouvoirs de la littérature : chez Sarraute le roman est conçu comme un instrument de connaissance, dont la portée est aussi potentiellement politique ; chez Wittig, militante du mouvement des femmes et théoricienne matérialiste du lesbianisme, l’œuvre est pensée indissociablement comme un outil de transformation politique et une forme littéraire du « savoir féministe ». Depuis des positions et des contextes distincts, Sarraute et Wittig participent ainsi à la mouvance de la théorie littéraire, inscrivent leurs propositions dans le paysage des politiques de la littérature des années 1950 à 1970, et plus largement dans l’histoire littéraire et intellectuelle de la seconde moitié du XXe siècle, marquée par une redéfinition du partage entre littérature et savoir, fiction et théorie. La deuxième partie livre une analyse poétique comparée des textes du corpus, plus particulièrement axée sur le traitement des représentations du masculin et du féminin. Le brouillage ou le rejet des catégories identitaires du masculin et du féminin se révèle, dans les deux œuvres, solidaire de la déstabilisation des modalités traditionnelles de la représentation littéraire. Sans gommer la singularité de chaque œuvre ni l’historicité des corpus, l’enjeu a été de déterminer comment le discours littéraire met à l’épreuve le genre entendu comme ensemble binaire et hiérarchique de représentations, de normes et de valeurs reflétant et étayant un ordre social. Enfin, Sarraute et Wittig ont rejeté la catégorie critique de « littérature féminine » héritée du XIXe siècle, comme l’« écriture féminine », forgée dans les années 1970. Dans une perspective théorique – il y va d’une définition de l’expérience littéraire – et pragmatique – il s’agit de susciter des attitudes de lecture –, elles ont ainsi pris le parti de l’universalisme : c’est l’objet de la troisième partie de cette étude. L’examen de ces partis pris révèle ce qui les distingue – le refus du féminin conduit Sarraute à un déni du genre tandis que Wittig ne renonce pas à penser l’expérience spécifique de l’« écrivain minoritaire » –, et ce qui les rapproche : la conviction que l’expérience littéraire ouvre un espace où le genre n’a pas prise, la volonté de mettre effectivement en œuvre un tel espace. L’actualisation des pouvoirs heuristique et politique de la littérature est ainsi conditionnée par la qualité des communications que les œuvres instaurent : il s’agit chez Sarraute de suspendre les logiques identitaires qui font lire différemment les œuvres d’hommes et les œuvres de femmes ; chez Wittig, d’« universaliser le point de vue minoritaire » en le rendant disponible à tous et toutes. Si les métadiscours auctoriaux (essais, entretiens) sont ici au centre de l’analyse, les textes de fiction remettent parfois en jeu les partis pris théoriques, en déployant les stratégies qu’ils appellent (dispositifs énonciatifs, intertextuels, génériques), mais aussi en leur opposant des contrepoints.