Thèse soutenue

Viêt Nam 1918-1945, genre et modernité : émergence de nouvelles perceptions et expérimentations

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Auteur / Autrice : Phượng Bùi Trân
Direction : Françoise Thébaud
Type : Thèse de doctorat
Discipline(s) : Histoire
Date : Soutenance en 2008
Etablissement(s) : Lyon 2

Mots clés

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Résumé

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Le début du 20ème siècle fut pour l’histoire du Viêt Nam une époque charnière où s’opérèrent le passage à la modernité, l’intégration au monde moderne, l’auto-reconnaissance de son identité nationale parmi les nations du vaste monde et non plus exclusivement par opposition-identification à la sphère sinisée. Ce fut aussi le moment où, face à une modernité venue de l’extérieur, qui s’était imposée non sans arrogance ni sans agressivité, mais aussi avec une grande force d’attraction, surtout culturelle, les Vietnamien-nes furent amenés à faire le bilan de leur passé, à jeter un regard neuf sur le vécu quotidien,à comparer, confronter, s’imprégner de cultures différentes, à remettre en question un ordre, une hiérarchie, des valeurs jusque-là souvent ressentis comme immuables. Après la répression des lettrés modernistes en 1908, il a fallu attendre l’arrivée sur le front politique d’une relève militante, sur l’arène socioculturelle celle d’une génération de jeunes intellectuel-les issus de l’enseignement franco-indigène, voire des universités françaises en métropole pour que de nouvelles voix se fassent entendre. Nous définissons par conséquent comme repères chronologiques d’abord l’année 1918 où l’on note deux événements marquants, la parution du premier périodique féminin et féministe, le Son de cloche du genre féminin et le début de la carrière journalistique de la féministe Dam Phuong. Notre travail s’arrête en 1945 où la Révolution d’août mit fin à une période de bouillonnement politique et culturel en assurant l’hégémonie du Parti communiste vietnamien sur la lutte pour l’indépendance et les deux guerres contre les Français et les Américains. Entre 1918 et 1945, notre recherche privilégie les réponses féminines et féministes apportées à la problématique de la modernisation de la société vietnamienne. Elle rend compte de la volonté et de la décision des femmes (et des hommes) appartenant le plus souvent aux couches sociales moyennes et supérieures, des intellectuel-les formé-es à l’école française dans la plupart des cas, d’affirmer la présence féminine dans les affaires publiques et de faire entendre la voix des femmes au-delà de l’espace privé qui leur était traditionnellement assigné, sans exclure leurs propositions, ni celles des modernistes en général, de réorganiser cet espace privé. Elle se soucie de cerner les débats – non exclusivement féminins, loin de là – et les multiples identités féminines nouvelles qui émergeaient des relations complexes de remise en cause ou de défense des traditions, d’approches diversifiées de la modernité inspirée du modèle occidental. Les Vietnamiennes et Vietnamiens des années 1920 à 1945 tentèrent de promouvoir la modernité et la modernisation de la famille, de la société au travers des efforts investis dans les études scolaires et universitaires, dans le travail professionnel salarié, dans les activités socio-culturelles, dans le militantisme réformiste ou révolutionnaire, nationaliste ou internationaliste. Ils participèrent ainsi activement à l’évolution des mœurs, à la déconstruction pour des reconstructions différenciées des rapports homme-femme et des rapports interpersonnels, des rapports entre l’individu et les communautés, notamment familiales. Dans la première partie, pour définir le cadre, nous commençons par décrire et analyser la place des femmes et la problématique du genre au sein des traditions vietnamiennes, que nous montrons miroitantes de multiples facettes, tellement la longue et riche histoire vietnamienne avait accumulé des apports divers à partir d’un substrat sud-est asiatique qui ne perdait point de son originalité au contact des civilisations chinoises et indiennes si brillantes fussent-elles. Nous présentons ensuite les acteurs et les vecteurs de la modernisation, où venait en première ligne l’instruction publique, mais où foisonnaient aussi d’autres ferments tels que la presse, la littérature moderne, la professionnalisation des femmes, le militantisme, …Dans la deuxième partie, à partir des sources imprimées que constitue la création artistique de l’époque, plus particulièrement la création littéraire, nous analysons des représentations de femmes. Les romans et nouvelles témoignaient d’une exploration de nouvelles possibilités dans la relation de couple, dans la vertu féminine comme dans la façon de traiter chacun-e des membres de la petite et grande famille. Si les romans faisaient état de prises de position plus ou moins révolutionnaires de la part des femmes instruites, de leurs comportements de soumission ou de révolte ; la poésie dévoilait des transformations profondes dans la sensibilité des jeunes. Toute cette littérature moderne était la production de nouvelles générations d’auteur-es gagné-es à la cause de l’européanisation (Âu hoa) – comme le formulait le groupe littéraire Tu luc (Compter sur ses propres forces), leurs moyens de promotion de nouveaux modes de vie, de nouvelles valeurs ou d’une rénovation en profondeur des valeurs ancestrales. Elle s’inspirait de l’évolution socioculturelle en cours et y contribuait puissamment avec tout le multiple talent et toute l’ardeur réformatrice des initiateurs. Nous retraçons également des parcours de femmes militantes de diverses tendances, de femmes de lettres comme d’épouses de quelques intellectuels et/ou révolutionnaires éminents. La dernière partie répond plus directement à la question : dans quelle mesure peut-on parler d’un – ou des – féminisme(s) vietnamien(s) qui aurai(en)t émergé avant la Révolution d’août 1945 ? Notre recherche a permis d’expliciter une panoplie d’idées émancipatrices, de pratiques innovantes et d’en questionner les origines. Il devient possible de rendre compte de l’existence d’un véritable féminisme vietnamien et d’en esquisser un premier bilan. En affirmant la réalité et le dynamisme des femmes et des féministes vietnamiennes dans les années 1918-1945, nous pensons avoir aussi contribué à rétablir un maillon estompé dans l’histoire moderne et contemporaine vietnamienne, l’époque qui se situe entre ce qui est perçu comme « l’échec » du mouvement des lettrés modernistes et la Révolution d’août 1945. En nous intéressant à l’histoire des femmes, en tant qu’ « histoire relationnelle, qui compare les situations ou les rôles des hommes et des femmes et examine les représentations des deux sexes » (Françoise Thébaud), nous avons éclairé d’autres aspects de la société et de la culture vietnamiennes en cette phase capitale de mutation. Les bases idéologiques de la nation vietnamienne moderne furent alors jetées, à travers l’appropriation par les différentes catégories sociales, par les femmes comme les hommes, des valeurs et pratiques exogènes maintenant examinées, sélectionnées, adaptées, parfois reconstruites dans une harmonisation voulue par la majorité (loin de nous l’idée qu’elle fût homogène et monolithique) avec les valeurs culturelles traditionnelles, elles aussi repassées au crible de la réflexion critique des intellectuel-les modernistes. En interrogeant les femmes, nous avons rencontré d’autres oubliés, méconnus, mal connus ou injustement marginalisés de l’histoire moderne vietnamienne ; ils furent pourtant non seulement objets (de l’instruction moderne et des changements socioéconomiques) mais des sujets actifs oeuvrant pour une meilleure dignité humaine, des femmes comme des hommes, des colonisé-es d’hier qui n’aspiraient qu’à devenir des égaux, voire des frères et sœurs. En scrutant une étape cruciale de l’histoire (à écrire) des femmes vietnamiennes, ce travail aura défriché un terrain prometteur.